Cinq ateliers de coconstruction des récits et deux de retour sur les résultats ont été organisés par Solon dans le cadre de la démarche. (Photo: 123RF)
BLOGUE INVITÉ. Plus d’équilibre entre le travail et la vie personnelle pour pouvoir s’impliquer davantage dans la communauté, un revenu minimum garanti, un impôt sur les grandes fortunes, des ressources et des services mis en commun… Ce sont quelques-unes des idées qui ont été discutées par près de 200 citoyens de Rosemont–La Petite-Patrie et des organisations montréalaises dans le cadre d’une démarche de coconstruction des «récits» de la transition socioécologique portée depuis 2020 par l’organisme Solon, en collaboration avec la Chaire de recherche sur la transition écologique de l’Université du Québec à Montréal et l’organisme Territoires innovants en économie sociale et solidaire.
Les récits donnent du sens au monde qui nous entoure. En prenant conscience de leur existence, il est possible de déconstruire la réalité et les problèmes actuels. Ils servent à créer des visions du futur et à proposer des façons de l’atteindre, contribuant à façonner des identités collectives et un sentiment d’appartenance pour la cohésion des luttes. Ainsi, dans le cadre de la transition socioécologique, les récits racontent la société de demain et les voies pour s’y rendre.
La démarche de Solon vise donc à produire une histoire collective et à la mobiliser pour inciter au passage à l’action. Pour ce faire, quatre ateliers de coconstruction des récits et trois de retour sur les résultats ont été organisés. Entrevue avec Camille Butzbach, agente de recherche pour la Chaire de recherche sur la transition écologique, en résidence chez Solon, qui a organisé et analysé le contenu de ces ateliers.
Comment résumeriez-vous les résultats de la démarche?
On a toujours pensé les récits comme quelque chose d’évolutif. On pose des «briques», mais ce n’est pas un récit complet ni final, notamment parce que cette première mouture a été élaborée par un public assez homogène — blanc, éduqué, aisé — donc il y manque des voix.
Aussi, il y a certains sujets qu’il faudrait traiter davantage ultérieurement, comme le lien humain-nature et la question du numérique, par exemple. Par contre, le matériel de base qu’on a — douze fiches thématiques qui synthétisent les changements souhaités — peut servir à interpeller d’autres personnes qui peuvent le transformer et se l’approprier.
Tout le monde n’est pas d’accord sur tout et ça souligne qu’il y a plusieurs chemins pour faire la transition. En fait, c’est plus le fait de participer au processus que les résultats (le récit en tant que tel) qui peut entraîner des changements. Une telle démarche peut permettre à des gens d’être en contact pour la première fois avec les concepts de transition écologique, de communs, etc. Le premier objectif, c’était de rallier des gens et des organisations qui ont envie de contribuer au développement d’une vision collective et de les inciter à l’action.
Quelle est la place de l’économie dans la société imaginée par ces récits?
La question de l’économie est centrale dans les récits développés. Un des ateliers était intitulé «Se réapproprier l’économie». Il visait à montrer aux gens que l’économie n’est pas incompréhensible, qu’ils peuvent réfléchir à sa transformation et que ce n’est pas un sujet réservé à une élite. Le sujet est aussi revenu dans d’autres ateliers, comme celui sur le temps. Qui peut se permettre de travailler quatre jours par semaine si on ne revoit pas les salaires? Comment subvenir à ses besoins dans ce contexte? Comment mieux valoriser le care? C’est le genre de questions que les participants à la démarche se posaient.
En gros, ce qui ressort des récits, c’est qu’il faut revoir les fondements mêmes de l’économie si on veut plus de partage, de résilience, de solidarité. Si on ne repense pas le modèle, on ne peut pas transformer la société. De toute façon, par définition, le récit implique une déconstruction du modèle actuel parce qu’on veut justement une transition vers autre chose. Cela implique, par exemple, une nouvelle conception de la richesse. Un extrait des récits statue ainsi que «la richesse désigne pour nous l’épanouissement personnel et collectif, et la réussite de nos objectifs collectifs, au lieu du profit et de l’accumulation de possessions individuelles». On remet aussi en question l’idée de «valeur», soulignant que la valeur pécuniaire ne devrait pas hiérarchiser la valeur intrinsèque des choses.
Vous avez évoqué l’idée de la semaine de travail de quatre jours. Quels autres changements relatifs au travail ont-ils été abordés?
Les participants avaient beaucoup de choses à dire sur la réorganisation du travail. Il y a eu unanimité sur la réduction du temps de travail pour avoir le temps d’être un citoyen engagé — s’informer, manifester, créer des liens, participer à des projets collectifs, etc. — et pour atteindre un meilleur équilibre entre vie personnelle et professionnelle, mais les chemins évoqués pour y arriver peuvent être différents.
D’autres idées pour transformer le monde du travail ont aussi émergé: miser davantage sur la collaboration au lieu de la compétition; déconstruire le fait que notre valeur personnelle se mesure à notre performance et au travail accompli… Notre économie devrait participer à la création et au renforcement de liens sociaux, par exemple, on devrait démocratiser les entreprises privées, partager davantage les responsabilités et impliquer les employés dans la prise de décision.