Les recruteurs de L’Oréal utilisent les technologies pour engager
Kévin Deniau|Édition de la mi‑octobre 2019(Photo: 123RF)
RECRUTEMENT. La directrice mondiale de l’acquisition des talents chez L’Oréal, Eva Azoulay, a raconté à Les Affaires pourquoi et comment la multinationale de produits cosmétiques a mis en place de nouvelles solutions technologiques dans son processus de recrutement.
KÉVIN DENIAU – Pourquoi avoir choisi d’utiliser des solutions basées sur l’intelligence artificielle pour recruter ? Lesquelles avez-vous retenues ?
EVA AZOULAY – Notre objectif de départ était clair : on voulait des outils pour permettre aux recruteurs de travailler mieux et de façon plus efficace. On a donc fait appel à Mya, de la start-up Mya Systems. C’est un robot conversationnel qui interagit avec le candidat tout de suite après qu’il a postulé. Il va lui poser des questions essentiellement fermées pour vérifier les prérequis du travail : la disponibilité aux bonnes dates, le salaire, la ville, l’autorisation de travail… Cela vient remplacer la phase de vérification téléphonique faite par un recruteur.
Nous utilisons aussi Seedlink, un algorithme personnalisé qui permet de mesurer l’arrimage culturel du candidat sur la base de trois à cinq questions ouvertes.
Ces outils sont utilisés seulement pour certains métiers, comme les conseillers beauté, ou des profils plus juniors, et ce, dans 16 pays. Mais pas encore au Canada, du fait du bilinguisme. Cela complexifie en effet leur mise en place ; on veut s’assurer que les modèles sont prédictifs, donc on ne se précipite pas.
K.D. – L’Oréal reçoit près d’un million de candidatures d’emploi par année dans le monde et 250 000 candidatures de stage. Ces solutions aident-elles à répondre à l’enjeu de volume ?
E.A. – Oui, mais attention : le volume n’est pas notre ennemi ! Au contraire, il est nécessaire si on veut avoir de la diversité dans les profils que l’on recrute. Au Royaume-Uni, par exemple, pendant longtemps, ils ont essayé de réduire ce volume en ne se focalisant que sur certains types de profils ou d’écoles ou d’universités. Ils ont pratiquement divisé par deux le nombre de candidatures reçues… Ce qui ne peut pas vraiment être considéré comme une réussite en matière de diversité. On leur a donc donné ces outils pour les aider à gérer et à accepter ce volume.
K.D. – Comment mesurez-vous la rentabilité de cet investissement ?
E.A. – Nous avons établi quatre critères. Il y a évidemment l’efficacité, autrement dit le temps gagné par les recruteurs, que l’on estime à plus de 200 heures par année au Royaume-Uni, par exemple. Mais aussi l’expérience candidat, la diversité des personnes recrutées et leur qualité à plus long terme.
Il est important de ne pas se focaliser que sur l’efficacité pour les recruteurs, car, sinon, ce ne serait pas rentable. Surtout que ces outils ne sont pas là pour remplacer les recruteurs, mais pour leur donner du temps afin se concentrer sur des tâches à plus haute valeur ajoutée. Ce sont des solutions coûteuses ; entre l’achat et le paramétrage par pays, cela prend du temps. Je dis toujours que l’intelligence artificielle n’est pas du «prêt à l’emploi». Sinon, il faut s’en méfier.
K.D. – Les outils technologiques ont-ils un impact sur votre marque employeur ?
E.A. – Pour nous, c’est plus un enjeu d’expérience candidat. Avec Mya, on vient combler un des plus grands problèmes du recrutement : le trou noir postapplication. Le candidat postule et il a une interaction immédiate qui lui donne de l’information pour savoir s’il a déjà les prérequis. C’est très apprécié !
K.D. – À votre avis, l’intelligence artificielle est-elle l’avenir du recrutement ?
E.A. – En ressources humaines, la rupture sur le plan de l’innovation vient essentiellement du recrutement. La technologie au sens large va profondément transformer le domaine. À nous de l’utiliser de manière éthique.
Il faut savoir que chez L’Oréal, ces technologies ne sélectionnent pas elles-mêmes les candidats. Elles donnent une information qui va aider le recruteur à prendre la décision. Cela restera le cas encore quelques années, le temps d’éduquer ces machines, ce qui est le propre de l’intelligence artificielle.