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Les transformateurs veulent faire compétition aux distributeurs

Jean-François Venne|Édition de la mi‑novembre 2023

Les transformateurs veulent faire compétition aux distributeurs

Sylvie Cloutier, PDG du Conseil de la transformation alimentaire du Québec. (Photo: courtoisie)

TRANSFORMATION ALIMENTAIRE. Le contexte économique pousse plusieurs entreprises de la transformation alimentaire à modifier leurs pratiques. Elles doivent aussi revoir leur stratégie à plus long terme pour tirer leur épingle du jeu dans un marché dominé par les distributeurs.

À court terme, le grand problème des transformateurs alimentaires concerne la flambée des coûts de production. Une partie de ces hausses sont transférées au consommateur, mais cette élasticité des prix a des limites. « Toute l’industrie cherche actuellement des manières de réduire ses coûts sans diminuer la qualité ni l’attractivité de ses produits », explique Sylvie Cloutier, PDG du Conseil de la transformation alimentaire du Québec.

Les options ne sont pas si nombreuses. Choisir des fournisseurs moins éloignés peut aider à diminuer les coûts de transport, à condition que le prix de l’intrant local soit compétitif par rapport à celui de l’étranger. Cela allège également la dépendance envers les longues chaînes d’approvisionnement internationales, lesquelles ont eu tendance à dysfonctionner depuis mars 2020.

« On peut aussi tenter de retravailler ses emballages afin d’en faire baisser le coût, toujours en faisant bien attention de ne pas altérer la qualité ou la durée de vie des aliments », poursuit la PDG.

Autre avenue possible : la réduflation. Utilisée surtout en période inflationniste, cette pratique consiste à réduire le poids d’un produit, sans en diminuer le prix. Il s’agit bel et bien d’une augmentation de prix, mais cachée. En décembre 2021, un article publié sur le site internet du ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie relevait que cette pratique peut irriter le consommateur, mais qu’elle risque moins de le pousser à se détourner de la marque qu’une hausse de prix apparente. Bref, entre deux maux, on choisit le moindre.

 

Fournir les marques privées

« Les transformateurs doivent aussi développer de nouvelles stratégies pour s’adapter à un marché dominé par les grands distributeurs, qui offrent de plus en plus de produits sous leurs propres marques privées », explique Rémy Lambert, professeur à la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval.

Cette montée des marques privées se trouve au cœur du virage stratégique en cours à Nortera, et explique en partie sa séparation de Bonduelle, en 2021. « Nous nous voyons comme un manufacturier de marques privées, alors que Bonduelle accorde une grande importance à sa propre marque, explique Daniel Vielfaure, directeur général de Nortera. Nous menons une réflexion stratégique actuellement et tout laisse penser que nous donnerons encore plus d’attention à nos clients de marques privées à l’avenir. »

Du côté d’Agropur, le changement stratégique s’est amorcé dès l’arrivée de la nouvelle direction en 2019. « Nous avons depuis pris un virage vers le B2B, souligne Stéphane Le Gal, président de la Division des catégories pour le Canada. Notre objectif stratégique est de devenir le partenaire laitier clé de l’industrie alimentaire. »

Actuellement, 75 % des revenus d’Agropur proviennent du B2B, soit 100 % aux États-Unis et 50 % au Canada. Il faut dire qu’Agropur conserve certaines marques fortes au pays, qu’il vend à des détaillants, comme Québon, Sealtest, Natrel et Oka.

L’attrait des marques privées se fait toutefois sentir chez les consommateurs, frappés par l’inflation, qui recherchent de meilleurs prix. « Ça joue en notre faveur, car nous sommes un très gros acteur dans ce marché, affirme Stéphane Le Gal. Dans le fromage et la crème glacée, nous détenons plus de la moitié du marché canadien des marques privées. »

Une telle stratégie exige de se montrer très agressif sur les prix. « Les manufacturiers qui fournissent les marques privées doivent contrôler très efficacement leurs coûts à tous les niveaux afin de rester compétitifs, précise Rémy Lambert. Ils doivent aussi innover pour augmenter leur productivité. »

 

Des marques qui résistent

Une partie des consommateurs reste par ailleurs très attirée par les produits à valeur ajoutée. Stéphane Le Gal indique, par exemple, que la demande augmente sans cesse pour les laits à valeur ajoutée de Natrel, comme Natrel Plus, qui contient 18 grammes de protéines.

Agropur met aussi sur le marché certains produits plus nichés, qui aident ses marques à se distinguer. Elle a récemment lancé des fromages Oka saisonniers, par exemple, à saveur d’érable ou de bière. « La réponse a été si bonne que nous répéterons cette expérience de produits éphémères », confie Stéphane Le Gal.

Du côté d’Exceldor, on constate également que certaines marques bien installées dans le cœur des consommateurs arrivent à tenir tête aux marques privées. « Les gens continuent d’acheter la marque Exceldor, ainsi que la marque Butterball, qui reste très populaire au Canada, assure le PDG René Proulx. Nous sommes par ailleurs très présents chez les grands distributeurs qui offrent des prix plus accessibles. Donc, la montée des marques privées ne nous affecte pas tant que ça. »