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L’essor de l’«AgeTech

Philippe Jean Poirier|Édition de la mi‑mai 2023

L’essor de l’«AgeTech

La pandémie a eu un autre effet collatéral, positif cette fois : elle a levé la barrière la technologique chez les aînés. (Photo: 123RF)

MARCHÉ DES AÎNÉS. De la création d’un nouveau fonds d’investissement consacré aux technologies pour aînés (AgeTech Capital) à l’annonce de l’initiative pancanadienne envisAGE, plusieurs nouvelles donnent à penser que le secteur des gérontotechnologies est en pleine émergence. État des lieux.

Si l’on remonte de quelques années seulement, l’innovation en matière de soutien aux aînés tenait à peu de choses : améliorer la conception d’une marchette, grossir les boutons d’une télécommande, proposer une énième version du dispositif d’urgence portatif, actionné en cas de chute, popularisé dans les années 1980 avec l’annonce « I’ve fallen and I can’t get up! » de l’entreprise LifeCall. Rien de révolutionnaire, on comprendra.

Or, quelles solutions voit-on maintenant lancées sur le marché par des entreprises québécoises ? Des détecteurs de présence permettant de suivre et d’analyser les comportements d’un aîné dans une résidence (Evey) ; des lunettes et des écouteurs intra-auriculaires servant à commander mentalement un environnement connecté (AAVAA) ; ou encore des vêtements qui gonflent en une fraction de seconde afin de protéger une personne lors d’une chute (Azimut Medical). On voit aussi des expériences à la fois immersives et thérapeutiques (Phosphen). Certaines propositions semblent sortir tout droit du futur.

Certes, l’intelligence artificielle a atteint une nouvelle phase de maturité. Mais ça n’explique pas toute l’effervescence actuelle que l’on voit dans la silver economy, ou le marché des aînés. « La pandémie a montré que nos aînés sont négligés à tout point de vue, avance Alan MacIntosh, associé fondateur du fonds d’investissement AgeTech Capital. Ça a créé un élan, et surtout, une reconnaissance qu’il y a beaucoup de choses à faire pour aider les aînés, et ce, à plusieurs niveaux. »

La pandémie a eu un autre effet collatéral, positif cette fois : elle a levé la barrière la technologique chez les aînés. De 2019 à 2022, le pourcentage des 65 ans et plus qui utilisent Internet pour obtenir des soins ou des services de santé a presque doublé, passant de 31 % à 59 % (NETendances 2022). Plus encore, une majorité d’aînés reconnaissent aujourd’hui le potentiel de la technologie pour briser l’isolement (70 % sont d’accord avec cette affirmation), pour améliorer le bien-être et le confort à la maison (62 %) et pour faciliter les déplacements à l’intérieur ou à l’extérieur du domicile (61 %).

 

Un secteur qui s’organise

Rappelons que le vieillissement de la population pose un défi collectif. Selon un bulletin publié en 2021 par l’Institut Fraser, la proportion des dépenses consacrées à la santé des 65 ans et plus pourrait passer de 46 % en 2019 pour un groupe représentant 16 % de la population canadienne à 71 % des dépenses totales en 2040, pour un groupe représentant alors 23 % de la population. Et ce, si rien n’est fait pour encourager l’« efficience des services de soins de santé », précise-t-on dans le rapport. 

De toute évidence, le secteur canadien des technologies de l’âge — désigné AgeTech en anglais — a intérêt à se structurer au plus vite. C’est ici qu’intervient l’initiative envisAGE, annoncée en mars dernier, assortie d’une enveloppe de 47 millions de dollars (M$) provenant du gouvernement fédéral. L’initiative, codirigée par les consortiums MEDTEQ+, axé sur l’innovation en technologie médicale, et AgeWell, axé sur la technologie et le vieillissement, a pour mandat d’accélérer la commercialisation des technos pour aînés.

« Notre objectif est de catalyser la commercialisation des technologies matures et de voir comment elles peuvent être déployées dans les milieux de vie, explique Sabrina Boutin, vice-présidente principale d’envisAGE. Nous voulons aussi aider les entreprises à avoir un regard davantage porté vers les utilisateurs finaux. » Ceux-ci incluent aussi bien les aînés que les proches aidants et les organisations prestataires de services, rappelle-t-elle.

Dans la foulée des discussions entourant la création d’envisAGE a émergé une autre initiative pancanadienne, cette fois du côté privé. Créée en août 2022, la société d’investissement privé AgeTech Capital vise elle aussi à combler le fossé entre l’innovation pure et la commercialisation des technologies de l’âge. 

« Il y a en ce moment au Canada un marché qui n’est pas du tout exploité sur le plan financier, explique Pascale Audette, cofondatrice et directrice de AgeTech Capital. Les investisseurs actuels se concentrent à l’étape du démarrage ou des bourses de recherche. Par la suite, si on parle de la série A et plus, il y a peu ou pas d’investisseurs au Canada. Donc, nous avons décidé de nous positionner comme un des gros fonds d’investissement, avec l’objectif de constituer un fonds de 250 M$ US. »

Ajoutons au portrait une récente annonce du gouvernement québécois. En mars dernier, le Bureau de l’innovation en santé et en services sociaux a lancé un appel à manifestation d’intérêt pour inviter les entreprises « en technologies médicales et de santé numérique » à proposer des solutions visant des soins et des services de soutien à domicile. 

Avec autant de joueurs au rendez-vous — le milieu de la recherche, l’entrepreneuriat, des fonds d’investissement et les gouvernements —, le secteur de l’AgeTech n’aura bientôt plus rien à envier aux autres secteurs technologiques tels le GreenTech, l’AdTech et l’AgTech. Avec, comme « finalité », rappelle Sabrina Boutin, d’« améliorer la qualité de vie des aînés ».