Photo : Lightfieldstudio pour 123rf.com
BLOGUE INVITÉ.
Cher papa,
Chère maman,
Tout d’abord, sachez que je vous aime de tout mon cœur. Malgré votre horaire de fou et vos nombreuses responsabilités, vous avez toujours été présents pour moi… surtout dans les moments importants. Maman, quand Antoine m’a laissée et que j’avais le cœur en mille miettes ou bien quand j’en arrachais dans mon MBA, tu m’as écoutée, consolée, encouragée. Et toi, papa, tu m’as déménagée 8 fois en autant d’années sans jamais lever les yeux au ciel et tu as passé je ne sais combien de nuits à bercer Liam et Aby, pour me permettre de dormir un peu.
Je vous suis aussi éternellement reconnaissante pour les belles valeurs que vous m’avez inculquées et que je transmets aujourd’hui à vos petits-enfants. Le respect, la loyauté, la famille, la persévérance, l’entraide… C’est vous, c’est moi, c’est nous.
Sachez aussi que l’entreprise familiale, je l’aime autant que vous deux et mes petites terreurs de jumeaux. Depuis maintenant 15 ans, je m’y donne à 200 %. Petit à petit, j’ai gravi les échelons, même si je sais que j’ai dû piler sur mon orgueil plus d’une fois pour prouver ma vraie valeur aux yeux des autres employés. Je sais que je pourrais gagner beaucoup plus si je travaillais ailleurs, mais c’est avec vous que je veux travailler et faire prospérer notre belle entreprise.
Et maintenant, la partie difficile s’en vient.
Si elle est difficile à lire pour vous, dites-vous qu’elle est encore plus difficile à écrire pour moi, parce que je vous aime et que la dernière chose que je veux vous faire, c’est de la peine.
Papa, l’autre jour, quand on était au restaurant toute la famille et que tu m’as demandé, tout bonnement, si j’aimerais prendre la relève de l’entreprise, je vous avoue que j’étais sur le cul. (Je sais, je sais… mon langage.) Je ne m’attendais pas à ça du tout, car c’était la première fois que tu abordais le sujet. Devant tout le monde en plus : je crois que je n’ai jamais été aussi gênée de ma vie. J’ai vu un mélange de surprise, d’envie, de déception et de colère dans les yeux de David, qui s’est tout de suite senti écarté. Ça m’a brisé le cœur de voir mon frère dans cet état.
Mais quelle question! Bien sûr que je veux prendre la relève. J’en rêve secrètement depuis si longtemps. Pensez-vous que je travaillerais encore avec vous si ça ne m’intéressait pas?
J’aurais aimé qu’on prenne le temps de discuter, tranquillement, en famille. Je pense qu’avant d’arriver à la fameuse question « Aimerais-tu prendre la relève? », il y a bien d’autres questions auxquelles on doit répondre:
– Quels sont les objectifs de notre famille? Et nos objectifs personnels propres à chacun?
– Quels sont les critères pour devenir actionnaire? Et pour devenir directeur, directeur général ou président? Est-ce qu’on doit avoir fait des études particulières ou posséder certaines aptitudes, comme l’ouverture d’esprit et la communication? Est-ce qu’on peut travailler à l’extérieur et être quand même actionnaire? Est-ce qu’il y a un âge minimal?
– Quelles sont nos ambitions professionnelles, à David et à moi?
– Et vous, qu’est-ce que vous souhaitez pour vous, pour nous et pour l’entreprise?
– Vous voyez-vous travailler jusqu’à 70, 80 ou 90 ans?
– Comment voyez-vous le transfert d’entreprise?
– Quels seraient votre rôle, mon rôle et celui de David pendant ce long processus? (J’écris long processus, parce que selon Louise Cadieux, une chercheuse reconnue en la matière, un transfert d’entreprise familiale prend environ 10 ans.)
Je le sais, ça en fait, des questions. Et on n’est pas obligé d’y répondre en 15 minutes.
Que diriez-vous si on allait passer une fin de semaine en famille, juste vous deux, David et moi? Pas de chum ou de blonde. Pas d’enfants. Ça nous permettrait de passer du temps ensemble (j’étais ado la dernière fois qu’on a fait ça) et de jaser, relaxes, en pêchant.
Je vous propose d’aller plus loin, si vous êtes «games»… Je connais une super bonne experte en relève d’entreprise familiale. Ça me ferait vraiment plaisir de vous la présenter et je suis convaincue qu’elle pourrait nous guider là-dedans. Parce qu’on ne se cachera pas la tête dans le sable : je pense qu’on va avoir des discussions difficiles qui s’en viennent. Difficiles, mais essentielles pour avancer.
Alors voilà, maman et papa, c’est ce que je voulais vous dire. J’espère de tout cœur que je ne vous ai pas peinés ou brusqués. Je ne pouvais plus garder tout ça pour moi, mais j’avais peur qu’en vous parlant, ça sorte tout croche. Ça fait que j’ai préféré vous écrire.
Et surtout, je vous aime… pis je sais que vous nous aimez gros comme la terre aussi.