Je suis généralement sceptique quand je vous entends clamer votre ignorance. (Photo: 123RF)
CHRONIQUE. Cher chef,
Vous êtes chef de la direction ou chef d’État ou de gouvernement.
Vous avez du pouvoir. Vous êtes responsable. En tout cas, lorsque les choses vont bien, vous n’hésitez pas à l’assumer, cette responsabilité. Oh ! il ne vous viendrait pas à l’idée de prétendre que vous avez tout fait. Vous n’en êtes pas moins responsable : vous avez planifié, décidé, recruté, coordonné, motivé…
Alors, chef de la direction, vous empochez votre bonification variable sans sourciller. Chef politique, vous revendiquez volontiers le mérite des réussites de votre gouvernement. Je ne me souviens pas d’avoir entendu un ministre chanter les louanges de ses fonctionnaires. Du genre : « Ce programme est une réussite indéniable, l’idée vient d’un sous-ministre adjoint et de son équipe, et le succès vient d’une exécution impeccable par les fonctionnaires. »
Alors, pourquoi votre responsabilité subit-elle une dilution homéopathique dès que votre organisation est prise la main dans le sac ? On a berné des consommateurs ? « Je ne savais pas que cette pratique existait ! » Un cadre a harcelé ses subordonné(e)s ? « Personne ne m’a jamais parlé de ça ! » On met au jour des pratiques de corruption dans l’organisation ? « Vous pensez bien que si j’avais su… » Ces phrases sont généralement suivies d’une condamnation (et généralement de la démission) d’un ou de plusieurs subordonnés.
Cher chef, pardonnez-moi de le dire : je suis généralement sceptique quand je vous entends clamer votre ignorance. Surtout s’il s’agit de gestes qui demandaient manifestement la collaboration de plusieurs personnes, à un échelon intermédiaire ou supérieur.
De toute façon, la question n’est pas de savoir si vous étiez au courant ou non. La question est de savoir si vous avez le courage – et la logique – d’assumer votre responsabilité de chef quand votre organisation est coupable de méfait, comme vous le faisiez quand tout allait bien. Car c’est de cela qu’il s’agit : l’ignorance ne dilue en rien votre responsabilité. Soit vous ne vouliez pas savoir et vous êtes alors coupable d’aveuglement volontaire ; soit votre organisation ne disposait pas des mécanismes de prévention et de détection de comportements délétères, et alors vous êtes coupable de négligence, voire d’incompétence ; soit les frontières de l’éthique ont été franchies parce que vous avez imposé des cibles irréalistes à vos subordonnés pour atteindre vos propres objectifs, et vous êtes directement responsable d’un méfait sans l’avoir commis vous-même.
Alors si votre défense est vraiment de dire « Je ne savais pas », de grâce faites suivre l’affirmation d’un retentissant « mais ». « Mais j’aurais dû savoir et j’assume l’entière responsabilité de la situation. » « Il m’était impossible de savoir, mais j’assume la responsabilité et je prends les mesures pour que mon successeur ne puisse plus ignorer pareils méfaits. »
Je m’attendrais à ce qu’au minimum, vous concluiez en renonçant à tout ou partie de votre bonification cette année-là. Dans certains cas, je m’attendrais même à une démission.