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John Plassard

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Expert(e) invité(e)

L’IA menace-t-elle l’approvisionnement en énergie?

John Plassard|Mis à jour le 18 juin 2024

L’IA menace-t-elle l’approvisionnement en énergie?

Les États-Unis, par exemple, sont sur le point de connaître une résurgence de l’énergie nucléaire.(Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. Après son intervention en Ukraine tout le monde parlait de la consommation d’énergie et craignait que l’Europe notamment manque de lumière (le mot est bien choisi) en hiver, car la Russie couperait littéralement les vannes du gaz.

Deux ans après, la diversification des sources d’approvisionnement et les températures plus élevées ont dissipé les craintes. Très bien nous direz-vous. Cependant, c’était sans compter sur une explosion de la demande qui menace littéralement l’offre actuelle: l’intelligence artificielle. 

 

Les faits

Lors du dîner annuel des PDG de Fortune à Davos le PDG d’Amazon, Andy Jassy, a déclaré que bien que les discussions sur l’intelligence artificielle (IA) aient eu tendance à éclipser les discussions sur le climat à Davos cette année, Andy Jassy a souligné que les deux étaient étroitement liées.

«Ces grands modèles de langage sont très gourmands en énergie, et il n’y a tout simplement pas assez d’énergie à l’heure actuelle. Nous allons donc devoir relever un double défi en tant que groupe: trouver beaucoup plus d’énergie pour satisfaire les besoins des gens et ce que nous pouvons faire pour la société grâce à l’IA générative. Mais nous devons le faire de manière renouvelable, avec un bilan carbone neutre ou nul. Nous ne pouvons pas revenir au charbon».

Le pavé a été lancé dans la marre: face à l’avancée technologique (de l’IA notamment) et l’utilisation de centres de données il va falloir plus d’énergie. Beaucoup plus. 

 

Une inquiétude qui remonte à 2021

En 2021, l’Environmental Research écrivait déjà qu’une grande partie des données mondiales étaient stockées, gérées et distribuées par des centres de données.

Selon l’association, le fonctionnement des centres de données nécessite une énorme quantité d’énergie, représentant environ 1,8% de la consommation d’électricité aux États-Unis!

De grandes quantités d’eau sont également nécessaires pour faire fonctionner les centres de données, à la fois directement pour le refroidissement des liquides et indirectement pour produire de l’électricité.

L’Environmental Research a pour la première fois calculé en 2021 les empreintes carbone et eau spatialement détaillées des centres de données opérant aux États-Unis, qui abritent environ un quart de tous les serveurs de centres de données au niveau mondial.

Leur approche ascendante a révélé qu’un cinquième de l’empreinte hydrique directe des serveurs de centres de données provenait de bassins versants soumis à un stress hydrique modéré ou élevé, tandis que près de la moitié des serveurs étaient entièrement ou partiellement alimentés par des centrales électriques situées dans des régions soumises à un stress hydrique.

Environ 0,5% des émissions totales de gaz à effet de serre aux États-Unis sont attribuées aux centres de données.

 

Quels sont les chiffres de la démesure?

La quantité de données créées chaque année est passée de 2 zettaoctets en 2010 à 44 zettaoctets (44 trillions de gigaoctets) en 2020. Cette évolution a fait exploser la demande de stockage et de traitement des données, ce qui a conduit à la construction d’énormes centres de données dans le monde entier.

Selon les données de 2023 de Cushman & Wakefield, on constate ci-dessous les plus grands marchés de centres de données dans le monde.

 

 

Aujourd’hui, on estime qu’il existe plus de 8 000 centres de données dans le monde.

Nombre de ces centres sont regroupés en raison d’une infrastructure avantageuse et des dispositions prises par les gouvernements locaux et les services publics. Ils ont également besoin de beaucoup d’énergie, souvent au moins 100 MW pour chaque centre, ce qui fait de la consommation d’énergie l’un des meilleurs moyens de mesurer la taille totale du marché.

Si la majorité de ces marchés de centres de données se trouvent aux États-Unis, certains sont disséminés en Asie et en Europe.

 

 
À SUIVRE: combien consomment les États-Unis aujourd’hui?

 

Combien consomment les États-Unis aujourd’hui?

 

Selon une étude de la Fed de Richemont, la croissance rapide de l’intelligence artificielle (IA) et d’autres technologies alimente la demande en électricité aujourd’hui (et demain).

Le secteur est dirigé par des entreprises du nuage comme Amazon Web Services (AWS), Microsoft Azure, Google Cloud et Meta.

Il comprend également des propriétaires numériques, appelés sociétés de colocation, qui louent des espaces de stockage à des tiers. Il s’agit notamment d’Equinix, de Digital Realty et de CyrusOne.

Les entrepôts de données ont consommé 17 gigawatts d’électricité en 2022, soit environ 4% de la consommation totale des États-Unis. Cette consommation devrait doubler pour atteindre 35 gigawatts en 2030.

Selon les estimations, un espace de 10 pieds carrés dans un centre de données moyen consomme environ 10 fois plus d’électricité qu’une maison moyenne.

 

 

Selon une étude de cas réalisée en février par Quanta Technologies sur une grande compagnie régionale d’électricité, PJM, les prochaines années seront marquées par «des surcharges d’équipement qui déclencheront jusqu’à 6 826 MW de délestage lors des pics de demande hivernaux moyens».

Le délestage consiste à couper l’électricité aux consommateurs, ce que l’on appelle aussi les pannes, afin d’éviter un effondrement du système.

L’analyse révèle la surcharge attendue de 30 installations de transport en vrac (230 kV et plus) au cours de l’été 2028, principalement en raison de la forte croissance de la charge associée surtout aux nouveaux centres de données.

PJM prévoit une croissance de la charge des centres de données de 7 500 MW d’ici 2028, tout en désactivant 11 100 MW de production de combustibles fossiles, ce qui laisse un écart de 18,6 gigawatts entre la nouvelle demande et l’offre restante dans ce secteur…

 

D’où vient l’énergie pour alimenter les centres de données?

La question peut paraître simpliste, mais elle est cruciale. L’énergie qui alimente les centres de données provient de diverses sources, et la combinaison spécifique peut varier en fonction de facteurs tels que l’emplacement, le coût et la disponibilité. Voici un aperçu des sources les plus courantes:

 

L’électricité du réseau 

Il s’agit de la source d’énergie la plus courante pour les centres de données. L’électricité provient du réseau électrique local, qui peut être généré à partir de différentes sources en fonction de la région. Ces sources peuvent être les suivantes:

• Les combustibles fossiles (charbon, gaz naturel): Bien que leur utilisation soit remise en question en raison des préoccupations environnementales, les combustibles fossiles représentent encore une part importante du bouquet énergétique dans de nombreuses régions.

• L’énergie nucléaire: l’énergie nucléaire constitue une source d’électricité fiable et sans carbone, mais les inquiétudes concernant la sécurité et l’élimination des déchets limitent son expansion dans certaines régions.

• Hydroélectricité: les barrages hydroélectriques produisent de l’électricité propre en utilisant de l’eau en mouvement, mais leur construction peut avoir des incidences sur l’environnement.

• Sources renouvelables (solaire, éolienne): L’utilisation de l’énergie solaire et éolienne pour les centres de données augmente en raison de leurs avantages environnementaux et de la baisse des coûts. Toutefois, ces sources peuvent être intermittentes, ce qui nécessite des options de secours.

 

 

Production d’électricité sur site

Certains grands centres de données peuvent disposer de leurs propres installations de production d’énergie sur site. Ces installations peuvent utiliser:

• Des turbines à gaz naturel: Elles peuvent fournir une alimentation de secours ou servir de source principale pendant les périodes de pointe.

• La production combinée de chaleur et d’électricité (PCCE): Cette technologie permet de capter la chaleur résiduelle de la production d’électricité pour chauffer ou refroidir le centre de données, améliorant ainsi l’efficacité globale.

 

Crédits d’énergie renouvelable (REC) 

Même si un centre de données dépend de l’électricité du réseau, il peut acheter des crédits d’énergie renouvelable pour compenser son empreinte carbone. Les CRE représentent les avantages environnementaux de la production d’énergie renouvelable.

 

À SUIVRE: quelles sont les alternatives?

Quelles sont les alternatives?

Les entreprises et les centres de données sont de plus en plus mis en avant pour l’énergie qu’ils utilisent. Avec des besoins massifs en consommation d’énergie, l’efficacité et la durabilité deviennent de plus en plus importantes.

Pour répondre à la croissance exponentielle de l’utilisation des centres de données, l’avenir de leurs sources d’énergie reposera probablement sur une approche à multiples facettes. Voici quelques éléments qui pourraient y contribuer:

 

 

Les énergies renouvelables 

• L’énergie solaire: Les progrès réalisés dans l’efficacité des panneaux solaires et la baisse des coûts font de l’énergie solaire une option plus viable. Des fermes solaires à grande échelle spécifiquement dédiées aux centres de données ou des installations solaires sur site sont envisageables.

• Énergie éolienne: Les centres de données situés dans des régions venteuses peuvent s’appuyer sur des parcs éoliens pour disposer d’une source d’énergie fiable et propre.

• Énergie géothermique: cette source offre une énergie de base constante, idéale pour les centres de données, et peut être particulièrement adaptée dans les régions où il y a une activité géothermique.

 

Avancées technologiques dans le domaine des énergies renouvelables 

• Stockage de l’énergie: Les progrès de la technologie de stockage des batteries sont essentiels pour remédier à l’intermittence de l’énergie solaire et éolienne. Un stockage efficace de l’énergie permettra aux centres de données d’utiliser les énergies renouvelables même pendant les périodes de faible production.

• Intégration d’un réseau intelligent: Une infrastructure de réseau modernisée et plus intelligente peut intégrer et gérer de manière transparente le flux d’énergie provenant de diverses sources renouvelables, améliorant ainsi la fiabilité et l’efficacité des centres de données.

 

Solutions alternatives et émergentes 

• L’hydrogène: Bien qu’elles n’en soient qu’à leurs débuts, les piles à combustible à hydrogène pourraient potentiellement fournir une production d’énergie propre et efficace sur site pour les centres de données.

• Microréseaux: Les centres de données pourraient envisager d’établir des microréseaux autosuffisants alimentés par une combinaison de sources renouvelables et de production sur site, réduisant ainsi la dépendance à l’égard du réseau traditionnel.

 

Amélioration de l’efficacité des centres de données

• Optimisation du matériel et des logiciels: La mise au point de matériel serveur plus économe en énergie et l’optimisation des logiciels des centres de données peuvent réduire de manière significative la consommation globale d’énergie.

•Technologies de refroidissement: Des systèmes de refroidissement plus efficaces, y compris le refroidissement par immersion liquide ou l’utilisation de l’air extérieur pour le refroidissement dans les climats appropriés, peuvent réduire la demande d’énergie.

 

Les «anciennes» énergies

• Le charbon: Historiquement, le charbon était une source majeure de production d’électricité pour les centres de données via le réseau électrique. Cependant, comme vous le savez certainement, le charbon est le combustible fossile à plus forte intensité de carbone, ce qui signifie qu’il émet le plus de gaz à effet de serre lorsqu’il est brûlé. En outre, les centrales électriques au charbon peuvent poser des problèmes importants de pollution de l’air et de l’eau.

• Le gaz naturel: Le gaz naturel est un combustible fossile plus propre que le charbon et constitue une source courante de production d’électricité pour le réseau électrique. Il est également utilisé dans les générateurs de secours des centres de données. Le gaz naturel reste un combustible fossile et émet des gaz à effet de serre, bien que moins que le charbon.

Les fuites de méthane lors de l’extraction et du transport suscitent également des inquiétudes, ce qui a un impact sur l’empreinte climatique globale.

• Le nucléaire: Les centrales nucléaires produisent de l’électricité avec un minimum d’émissions de gaz à effet de serre, ce qui en fait une alternative plus propre aux combustibles fossiles. Il y a cependant de nombreuses questions concernant la sécurité et le recyclage des déchets.

 

À SUIVRE: le nucléaire en ligne de mire?

 

Le nucléaire en ligne de mire?

La question de «nouvelles» sources d’énergie inquiète bien évidemment les gouvernements qui s’attendent à une nette hausse de la demande.

L’énergie nucléaire est bien évidemment en ligne de mire en Europe et aux États-Unis afin d’éviter une surcharge des réseaux électriques (à moins d’une mise à niveau significative).

Les États-Unis par exemple sont sur le point de connaître une résurgence de l’énergie nucléaire. Le gouvernement fédéral devrait continuer à redémarrer les centrales nucléaires fermées dans les années à venir afin de répondre à la demande croissante d’énergie propre et fiable, essentielle pour alimenter l’économie de demain.

Pour mémoire, en mars dernier la centrale nucléaire de Palisades dans le Michigan a marqué un changement historique puisque c’est la première centrale nucléaire à être rouverte aux États-Unis, créant ainsi un précédent pour le retour de l’énergie atomique. La centrale pourrait commencer à produire de l’électricité dès le second semestre 2025.

 

 

Cette tendance devrait bien évidemment profiter à certains des plus grands producteurs d’uranium.

 

Synthèse

Lorsqu’on parle de demande énergétique aujourd’hui, on se focalise surtout sur les «besoins essentiels» qui concernent les usines, les véhicules ou encore le chauffage. Cependant on oublie d’ajouter dans l’équation la consommation explosive des centres de données pour l’intelligence artificielle. Si c’est une très bonne nouvelle pour les énergies alternatives, il faudra absolument qu’elles améliorent (encore) leurs efficiences.

 

 

Ce texte est tiré de l’infolettre quotidienne de John Plassard, gracieuseté de Mirabaud

 

** Veuillez prendre note que les visuels de notre expert sont présentés en anglais à titre informatif et ne peuvent être traduits par notre équipe. Merci de votre compréhension.