(Image: Olympus)
Depuis des centaines d’années, on regroupe tous les gens malades, blessés et mourants à un seul et même endroit pour leur prodiguer des soins faute de ressources : l’hôpital. De nos jours, ce sont moins les ressources qui manquent, que la volonté de changer les façons de faire afin d’offrir des soins sur-mesure là où se trouvent les patients.
Mais c’est en train de changer. Depuis quelques années, la plupart des acteurs du système de santé semblent avoir compris qu’ils ne pourront pas résister encore bien longtemps aux changements provoqués par les nouvelles technologies en général, et l’intelligence artificielle en particulier. L’ouverture est donc bien réelle.
Dans le monde technologique, elles sont nombreuses, les entreprises qui font pression sur cette industrie, et pour cause : sa valeur en 2017 était de 800 milliards $US, et les dépenses sont en croissance, si bien qu’on prédit un marché de la santé valant 1350 milliards $US d’ici 2025.
Diagnostiquer un cancer en six secondes, plutôt qu’en six mois
Des multinationales comme Apple et Amazon, en passant aux startups comme Imagia et Arctic Fox AI, il ne faut pas se surprendre si tout le monde veut sa part du gâteau. Il y a une logique commerciale derrière cet intérêt, mais dans certains cas, ça va bien au-delà des profits et des revenus. «Nous, on veut surtout avoir un impact bénéfique sur la santé des gens», explique Alexandre Le Bouthillier, cofondateur d’Imagia, qui vient d’inaugurer ses bureaux dans le même édifice que sa consoeur Element AI, dans le Mile-Ex.
Alexandre Le Bouthillier et Jean-François Gagné, qui dirige Element AI, se connaissent bien, ayant fondé ensemble, puis vendu la société Planora, avant de plonger chacun à sa façon dans l’intelligence artificielle.
Le cancer qui a mené au décès de Claude Le Bouthillier, père d’Alexandre, mais aussi un auteur acadien reconnu partout au pays, en 2016, aura pour ainsi dire défini la mission d’Imagia. «Quand on a le cancer, évidemment on est prêts à en faire beaucoup pour guérir, mais les gens atteints du cancer vont aussi souvent vouloir donner au suivant», glissera Alexandre Le Bouthillier, au fil d’une discussion avec Les Affaires, plus tôt cette semaine.
Donner au suivant, c’est une façon de présenter la technologie mise au point par la startup montréalaise d’une cinquantaine d’employés. Celle-ci a conçu une technique de reconnaissance par l’image de polypes bénins et malins quasi instantanée accélérant la détection (puis le traitement) du cancer du côlon. Comme cette technique repose sur une vaste quantité de données provenant de divers autres cas, on peut dire que tous ces gens qui ont subi un dépistage ont pour ainsi dire contribué à affiner cette solution.
La technologie a plu à Olympus, le plus gros joueur en imagerie médicale, qui a intégré cet outil à ses systèmes. «Ça nous a pris 18 mois pour concevoir puis commercialiser une solution qui, dans des circonstances normales, peut prendre de 10 à 12 ans avant de recevoir l’aval des autorités médicales (comme la FDA, aux États-Unis)», rappelle le porte-parole d’Imagia. «Grâce à ce système, c’est comme si on prenait les deux ou trois meilleurs médecins spécialistes au monde, et qu’on en mettait un dans chaque hôpital de la planète.»
Une IA unique, des applications multiples
Conjointement avec Yoshua Bengio, le professeur étoile de l’IA montréalaise, l’entreprise a cru bon élargir sa méthode d’analyse des données afin qu’elle puisse s’appliquer à d’autres maladies et à d’autres enjeux du domaine de la santé. Ça a permis d’élargir rapidement son champ d’action au cancer du poumon, et à certaines autres maladies, comme l’Alzheimer.
Pour Imagia, ce n’est donc que le début.
«Nous créons des « biomarqueurs d’IA », qui font le lien entre deux sources de données afin de détecter, puis identifier les signes d’une maladie grave», explique M. Le Bouthillier. «On veut pousser jusqu’à la prédiction du bon traitement à appliquer pour assurer la guérison. Par exemple, l’IA pourrait faciliter le choix entre deux traitements qui ne fonctionnent que dans 30 pour cent des cas, afin qu’on tombe sur le bon 30 pour cent.»
Ces «biomarqueurs d’IA» reposent sur une analyse de données massives, mais sélective («on ne fait pas dans le « big data », mais dans le « right data »») effectuée dans l’établissement de santé à partir des données qu’il possède. Aucune information ne sort de ses serveurs, garantissant la sécurité de l’opération.
Ce qu’Imagia fait à partir de là, c’est d’offrir ces biomarqueurs d’IA aux équipementiers et aux fabricants de solutions médicales qui sont déjà présents dans le système de la santé. «Ce qui fait qu’on peut agir vite, c’est qu’on se positionne comme un différentiateur, plutôt qu’un compétiteur. On propose une valeur ajoutée aux fabricants», explique l’entrepreneur montréalais.
En route vers une médecine personnalisée… et plus abordable
Ce que fait Imagia est spectaculaire. Accélérer la détection à un stade très précoce d’une maladie grave permet littéralement de sauver des vies. On est loin à l’autre bout du spectre de technologies plus «ludiques», comme ces bracelets d’exercice qu’on tente de présenter en appareils médicaux car ils fournissent le rythme cardiaque de leurs utilisateurs.
Mais, clairement, l’objectif est le même : la médecine et la santé sont de moins en moins un gros centre de services centralisés et uniformes. Les nouvelles technologies peuvent décentraliser une partie des tâches réservées aux hôpitaux, comme la détection précoce de maladies graves, et peuvent aider à réduire les coûts du système. La technologie d’Imagia peut éviter l’envoi à des labos spécialisés des échantillons qui prennent des mois à être analysés, ce qui coûte plus d’un milliard de dollars au système de santé québécois.
Même les assureurs commencent à voir les vertus de ce virage technologique. Bientôt, on vous proposera de porter une montre connectée en échange d’une réduction de votre prime d’assurance-vie.
Aucun doute, le système de santé est clairement en train de changer… et c’est probablement pour le mieux.
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