On dit de l’impôt qu’il est comme la mort, qu’il finit toujours par nous rattraper: l’inéluctabilité de l’impôt. Je dirais plutôt qu’il est comme Dieu, qu’il est partout: l’ubiquité de l’impôt.
Il n’y a nulle part où aller sans qu’on en trouve une manifestation. Même pas dans l’espace! Le drapeau planté sur la lune est l’aboutissement d’un effort scientifique, technique et… fiscal. Les sondes Voyagers qui filent dans les régions interstellaires sont aussi l’oeuvre d’ingénieurs et de contribuables.
Il n’y a pas grand-chose qui ne porte pas la trace de l’impôt, qui n’en soit pas au moins partiellement le fruit ou la source, qu’il s’agisse d’artefacts découverts au hasard d’une excavation d’une rue de Montréal ou encore des employés municipaux désoeuvrés autour du trou.
Ne vous méprenez pas, ce que vous lisez n’est pas l’introduction d’une charge libertarienne, ni l’appel au soulèvement populaire contre le fisc. Au contraire, je veux seulement relever que la fiscalité remonte à des temps lointains, qu’elle porte des ambitions collectives, qu’elle a façonné les cités, qu’elle a financé des exploits, qu’elle est une autre de ces choses qui nous distinguent du bonobo, et que si elle peut parfois sembler lourde et inefficiente, elle est globalement porteuse de progrès.
Cela dit, envoyer un chèque au fisc, ce n’est pas le genre de geste qu’un individu normal s’empresse de faire avec le sourire. Il s’agit d’une dépossession personnelle. La nature du lien qui nous unit à l’impôt n’est donc pas que pécuniaire, elle est aussi affective.
Je ne parle pas d’amour (qui aime l’impôt?), mais de cette relation possessive que peuvent entretenir certains, en certaines occasions, avec «leurs taxes», comme s’ils faisaient personnellement les frais de la moindre défaillance dans la gestion du trésor public, auquel leurs contributions ne représentent qu’une particule.
Le droit à la critique dans la gestion des finances publiques n’est pas proportionnel à l’effort du contribuable, ce n’est pas ce que je veux dire.
C’est qu’à lire et à entendre les commentaires sur les déboires de l’entreprise Téo Taxi la semaine dernière, j’avais parfois l’impression qu’ils étaient nombreux les «payeurs de taxes» à avoir laissé leur chemise dans l’aventure.
Les traces de l’impôt sont partout, disais-je, particulièrement dans l’indignation surchauffée du lecteur du Journal.
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Ce début de chronique est une totale digression. Ce n’est pas l’itinéraire prévu. Je voulais signaler que je voyais des préoccupations fiscales partout, dans vos courriels, amis lecteurs. Le gros ennui avec l’impôt est qu’il est possible d’en payer moins, si seulement on savait comment. Il est tellement plus facile d’en payer trop.
Je vois bien que cela vous préoccupe. Quand vous me demandez s’il est préférable de contribuer au CELI plutôt qu’au REER, c’est une question d’impôt. Quand un jeune entrepreneur s’interroge s’il doit s’accorder un salaire ou se verser des dividendes, c’est un dilemme fiscal. Investir dans le REER ou le REEE? Impôt! Emménager avec mes enfants chez mon nouveau conjoint? Impôt! Cotiser au REER de mon chum? Impôt! Investir dans le Fonds de solidarité de la FTQ? Impôt! De quelle manière retirer mon épargne retraite? Impôt!
Trois questions sur quatre que je reçois touchent de près ou de loin à la fiscalité. Ce n’est pas surprenant. Sans être impénétrable, la loi sur l’impôt peut parfois être d’une complexité inouïe. Avec tous ces crédits fiscaux qui, chaque année, apparaissent, fusionnent, s’évaporent et renaissent sous de nouveaux noms, ce n’est pas simple de ne pas payer trop d’impôt.
J’allais m’attaquer à un aspect plus pratique de la question, mais avec ce dérapage en introduction, ce sera pour la prochaine fois.
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Pour désigner l’impôt des particuliers, on parle souvent du «fardeau fiscal». Au cours des dernières années, nous avons eu droit à plusieurs allègements fiscaux, mais comme les Québécois demeurent parmi les plus taxés en Amérique du Nord, on reste sur l’impression que le contribuable d’ici ère dans la grande noirceur.
Ça devait être mieux avant, forcément.
Un lecteur m’a envoyé une déclaration d’impôt sur le revenu de l’année 1950. Si les taux d’imposition actuels vous font frémir, vous n’auriez probablement pas survécu à l’époque, du moins si vous gagniez un salaire élevé. La table d’imposition canadienne était très progressive, elle ne comptait pas moins de quinze paliers. (Il n’y a avait pas de prélèvements fiscaux effectués par Québec auprès des particuliers cette année-là, ça viendra quelques années plus tard)
Le taux marginal d’imposition de ce temps-là, quand un contribuable gagnait plus de 25 000$ (une fortune), s’élevait à 50%. Rien d’original, sinon que l’on comptait six autres paliers d’imposition supérieurs, dont le plus élevé qui atteignait 80% à partir de 400 000$.
Le même lecteur m’a aussi envoyé un rapport du service des finances de la Ville de Montréal de 1941. Si je comprends bien le document, le citoyen montréalais était taxé sur la base de sa rémunération, le taux maximum, 14%, s’appliquait sur des revenus de 40 000$ et plus.
Étonnamment, les journaux de l’époque ne font pas état d’aucun citoyens morts étouffés par les taxes.
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