Olivier Royant, directeur de la rédaction de Paris Match (Photo: Xavier Imbert)
AVEC MARIE LABROSSE
BLOGUE INVITÉ. Selon Olivier Royant, directeur de la rédaction du magazine d’actualité français Paris Match, il existe deux sortes de reportages : ceux qui relatent des histoires que les gens veulent lire et ceux qui relatent des faits dont il faut parler. Au cœur de ces reportages, il y a toujours l’aspect humain qui, selon lui, joue un rôle essentiel à la pérennité de la publication.
« Les fondateurs ont lancé un magazine divertissant, indique le directeur de la rédaction. Il n’était pas question de droite ou de gauche ; on s’intéressait à l’aventure humaine. C’est pour ça que chaque semaine, nous voulons présenter des personnalités. »
Dans le Paris Match, les nouvelles nationales et internationales côtoient les articles sur les célébrités et l’art de vivre. C’est ainsi que, dans un même numéro, on peut lire un photoreportage sur le système pénal et apprendre la naissance de l’enfant du prince Harry et de Meghan Markle.
Au cours des derniers mois, la politique régionale a particulièrement retenu l’attention des lecteurs du Paris Match. Face à la mobilisation des gilets jaunes et au mouvement populiste qui gagne du terrain sur la scène politique européenne, les Français se sont intéressés davantage aux affaires publiques. Olivier Royant estime que les résultats des élections européennes, qui seront connus dimanche, pourraient bien prédire l’avenir du pays.
Plus tôt cette semaine, des sondages réalisés par Paris Match indiquaient que La République En Marche !, parti du président français Emmanuel Macron, talonnait le parti nationaliste de droite Rassemblement National, dirigé par Marine Le Pen.
« Une vague populiste déferlera-t-elle sur les élections européennes, ou le parti plus modéré résistera-t-il ? C’est ce que nous verrons dimanche soir, mentionne le directeur de la rédaction. Si Marine Le Pen obtient 26 ou 27 % des voix, ce sera une défaite pour Emmanuel Macron. Et cela pourrait avoir des conséquences. »
Aux dires du directeur de la rédaction, l’instabilité que vit actuellement la France remonte à l’arrivée au pouvoir du président actuel, en 2017. Il considère que la création de ce parti, l’année précédant les élections, a fait disparaître le système bipartisan qui était à la base de la structure politique française, ce qui a eu pour effet de centraliser davantage le pouvoir.
« La classe politique française a été complètement décimée par l’arrivée d’Emmanuel Macron. Le Parti socialiste et Les Républicains ont perdu beaucoup de plumes… Les corps intermédiaires, les syndicats, les mairies, les conseils départementaux et régionaux, toutes ces organisations ont perdu de leur influence à la seconde où ce nouveau parti a pris le pouvoir en France. Pourtant, elles sont censées être des intermédiaires entre le président et la population. »
De gilets jaunes manifestent. (Photo: Getty Images)
D’après Olivier Royant, c’est le sentiment de rejet suscité par la présidence actuelle qui est au cœur du mouvement des gilets jaunes et des autres mouvements populistes en Europe. Les simples citoyens se sentent abandonnés par les gouvernements centralisés et expriment leur mécontentement en se mobilisant dans les rues ou dans l’isoloir.
Le directeur de la rédaction de Paris Match considère que la France est divisée : d’un côté, il y a les métropoles comme Paris et Marseille, qui proposent de grandes écoles et de bons salaires, et de l’autre, les régions périphériques, qui n’offrent pas les mêmes avantages.
« À 20 kilomètres des grandes villes, on constate que les petites villes ont été remplacées par des supermarchés, explique Olivier Royant. Ces villes ont été complètement dépouillées de leur vie sociale. On parle maintenant de la France périphérique, la France où les habitants ont difficilement accès au transport public. Ces personnes ont perdu leur hôpital local, leur bureau de poste local, et c’est cette situation qui a réellement déclenché la crise des gilets jaunes. »
En France métropolitaine, la popularité grandissante de l’économie à la demande et de l’économie du partage illustre les avantages dont les jeunes citadins peuvent profiter sur le marché du travail, mais elle met également en lumière les nombreux Français laissés pour compte dans cette ère technologique.
« Ils veulent une nouvelle économie, une économie libre qui s’appuie sur la révolution numérique, en accord avec l’esprit de liberté français, affirme Olivier Royant. Les jeunes entrepreneurs qui reçoivent des subventions du gouvernement trouvent que la vie est belle en France. On voit les jeunes pousses naître un peu partout dans les grandes villes, mais en même temps, il y a une autre France qui rêve encore du temps où elle avait accès à des services de santé gratuits, à une école gratuite, à un système gratuit. »
L’exclusion de la France périphérique n’est pas simplement économique, elle est aussi psychologique. Les progrès réalisés dans les grands centres bousculent les habitudes de la France traditionnelle, et ils mettent en évidence l’érosion des valeurs d’égalité et de solidarité si chères au pays.
« Ils protestent contre la centralisation de la vie française, qui est représentée par Paris, Emmanuel Macron et l’ENA, l’école d’administration dont les anciens étudiants dirigent ce vieux pays, mais aussi par la disparition de la solidarité dans le village français type, où on mange bien, entouré de bons Français », précise-t-il.
Olivier Royant est bien conscient que ce qu’il décrit comme un « phénomène d’inégalité » n’est pas un problème propre à son pays. Il voit cette inégalité comme une force qui a déferlé sur toute l’Europe et qui menace la stabilité des démocraties européennes, surtout à la veille d’élections parlementaires.
« L’inégalité est l’un des principaux enjeux de nos démocraties aujourd’hui, ajoute-t-il. Emmanuel Macron ne l’a pas compris assez vite. L’inégalité qui règne dans la société américaine est également présente au sein de la société européenne. Les démocraties d’Europe sont en danger, et les dirigeants européens ne se sont pas rendu compte que le phénomène prenait de l’ampleur. »
Lien vers le balado (en anglais seulement)
Le présent article est une transcription condensée et modifiée d’une entrevue animée par Karl Moore, professeur agrégé à l’Université McGill, dans le cadre de l’émission The CEO Series, présentée sur les ondes de CJAD et produite par Maria Power, récemment diplômée au baccalauréat en commerce de l’Université McGill. L’entrevue intégrale fait partie de la plus récente saison de The CEO Series et est disponible en baladodiffusion.