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ANALYSE. Ce n’est probablement pas demain la veille que le vif débat sur le retour temporaire ou non de l’inflation sera résolu. La reprise en V et les sommes inégalées injectées par les gouvernements et les banques centrales pour soutenir l’économie et les travailleurs pendant la pandémie entraînent des distorsions dont l’ampleur et la durée sont encore difficiles à évaluer.
L’inflation fait des heureux chez ceux qui peuvent refiler la hausse des prix à leurs clients. Même le célèbre Warren Buffett a paru surpris par la capacité de ses entreprises à relever leurs prix de vente lors de l’assemblée annuelle de Berkshire Hathaway (BRK.B, 286,22 $US) le 1er mai.
En revanche, si les coûts de production continuaient à augmenter plus vite que les prix de vente, les marges pourraient éventuellement en souffrir et ainsi fragiliser un important point d’appui pour les actions:les profits records.
Le consensus prévoit que les bénéfices des entreprises du S&P 500 rebondiront de 35 %, à 188,42 $US, en 2021, et croîtront d’encore 12,1 %, à 211,26 $US en 2022, rapporte Yardeni Research.
Pour le moment, la forte demande refoulée pendant la pandémie fait progresser les revenus et les économies réalisées pendant la pandémie protègent la rentabilité des entreprises. «L’effet sur la demande de la levée des restrictions par les gouvernements devrait compenser pour le retrait graduel des transferts gouvernementaux aux ménages et aux entreprises plus tard cette année», anticipe Martin Roberge, de Canaccord Genuity.
Au Canada, les fabricants bénéficient du meilleur pouvoir d’imposer leurs prix depuis 1980, si l’on se fie au sursaut de 14 % des prix industriels en avril, a récemment signalé Stéfane Marion de la Financière Banque Nationale. L’économiste juge même que cette capacité est supérieure à celle des fabricants chinois et américains. Résultat:les prévisions de bénéfices pour le S&P/TSX ont bondi de 9 % depuis trois mois, la plus importante hausse en une décennie.
Répit estival?
Le stratège quantitatif Martin Roberge a fait son nid il y a des mois, privilégiant les secteurs cycliques et les matières premières, dans sa stratégie sectorielle.
Le repli des cours des matières premières à la mi-mai ne le surprend pas étant donné la hausse record de 22,9 % de l’indice S&P GSCI lors des quatre premiers mois de l’année.
Une pause estivale est possible avant une autre remontée cet automne, si la performance des dix épisodes précédents de départ canon des matières premières depuis 1970 se répète. Le rendement de ces dernières a atteint 9,1 % de mai à décembre en moyenne.
Un autre facteur renforce ces perspectives:le ratio qui compare les ventes au détail aux stocks a atteint un sommet en mars, note le stratège de Canaccord Genuity. Il croit que les prix à la production augmenteront davantage puisque les entreprises regarnissent toutes leurs stocks en bloc afin de répondre à la demande immédiate et voudront aussi reconstituer des stocks plus réguliers.
De surcroît, contrairement à 2013 et à 2018, la Réserve fédérale américaine (Fed) semble prête à tolérer plus d’inflation avant de retirer son soutien monétaire pour assurer une reprise plus durable après la pandémie. Pour ce faire, la Fed rachète davantage d’obligations de sept à trente ans sur les marchés. Cette stratégie a pour effet de freiner la hausse des taux à long terme, ce qui maintient les taux réels en terri- toire négatif, un plus pour la valeur des actifs.
Les taux repères de 10 ans ont en effet peu augmenté, malgré la plus forte inflation de base en 25 ans aux États-Unis, en avril. Martin Roberge a analysé les secteurs qui performent bien lorsque l’inflation dépasse 2,5 % hors des périodes de récession depuis 1991 et les conclusions réservent des surprises. Aux côtés de l’énergie et de la finance, qui bénéficient respectivement de l’activité économique et de l’écart entre les taux à court et à long terme, les fonds de placement immobiliers (FPI) et les fabricants de produits de consommation de base résistent bien aussi.
Les FPI peuvent fixer les frais d’intérêt de leurs hypothèques et augmenter les loyers tandis que les grands fabricants de produits de consommation essentielle sont plus aptes à relever leurs prix de vente que ceux de biens plus discrétionnaires, explique le stratège.
Les services au lieu des biens
Le débat sur l’inflation et son impact sur les marchés risquent de durer plusieurs mois, le temps d’établir à quel point le choc pandémique magnifie les comparaisons.
En tant qu’acheteur prolifique de matières premières, la Chine est aussi très influente. Les mesures récentes pour éviter une surchauffe des prix du minerai de fer et de l’acier ont d’ailleurs contribué à la baisse récente des cours de plusieurs matières premières.
Chez Patrimoine Richardson, Craig Basinger est de ceux qui espèrent que le déplacement des achats des biens aux services résorbera graduellement les goulots d’étranglement des fabricants.
Le chef des placements surveille néanmoins les salaires pour s’assurer que l’inflation ne s’y incruste pas. Son scénario de base prévoit que la hausse cyclique des prix persiste jusqu’au début de l’an prochain.
Autre facteur à considérer:les pros achètent des contrats à terme pour se protéger contre l’inflation qu’ils craignent, amplifiant par le fait même la perception d’une remontée en force de l’inflation dans une logique circulaire.
En même temps, les producteurs de divers matériaux ne suffisent pas à la demande soudaine parce qu’ils n’ont pas accru leur capacité de production depuis des années. La durée de ce décalage est incertaine.
À plus long terme, la perspective de vastes investissements verts laisse croire que l’appétit pour les divers métaux qui entrent dans la fabrication des technologies moins polluantes s’étalera sur de nombreuses années.
Tant que les investisseurs n’auront pas plus de clarté au sujet de toutes ces questions, les marchés resteront agités étant donné le rôle déterminant de la trajectoire des taux d’intérêt dans l’évaluation de tous les actifs.