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ANALYSE. On dit que le chat a neuf vies. À force d’être déclaré mort, l’investissement valeur doit en avoir compté encore plus.
La durée de la sous-performance du facteur valeur varie selon la méthode utilisée, mais on peut dire qu’après avoir mieux résisté à l’éclatement de la bulle techno au début des années 2000, il a relativement moins bien performé que le facteur croissance, propulsé par la forte performance du secteur technologique et des géants du Web, entre autres.
L’histoire des marchés est remplie de tendances de longue durée qui connaissent un revirement. Bien des experts se sont demandé si on verrait un tel renversement pour l’investissement valeur.
L’immense écart entre les deux facteurs soulève effectivement des questions. Les titres de croissance ont progressé de 225 % au cours de la dernière décennie, tandis que le style valeur n’a avancé que de 88 %, selon des données du MSCI.
Une étude de Citigroup mentionne que l’écart d’évaluation entre les titres croissance et les titres valeur est encore plus grand qu’au sommet de la bulle techno, rapporte le Financial Times.
Le retour du balancier?
Certains investisseurs se demandent maintenant si l’engouement autour des résultats préliminaires prometteurs des vaccins contre la COVID-19 est le début du tant attendu retour du balancier.
L’annonce de Pfizer, faite le 9 novembre, a entraîné une des plus intenses rotations de l’actif de l’histoire boursière. Les titres filtrés par un facteur valeur ont bondi de 6,4 %, la même journée. C’était la plus forte hausse d’une séance depuis les années 1980, selon une recension de JP Morgan.
La question reste à savoir s’il s’agit d’un revirement structurel ou d’une brève correction d’un excès de pessimisme. Le filtre valeur rassemble plusieurs actions dont les faibles cours ne sont pas attribuables aux mêmes raisons. Leurs fondamentaux peuvent être bien différents. Les secteurs liés au tourisme et aux activités sociales pourraient très bien profiter d’un vaccin et d’un retour à la normale. Pour d’autres secteurs, comme le pétrole, la fin de la pandémie pourrait entraîner un rebond à court terme de la demande, mais elle ne dissipera pas nécessairement les problèmes structurels qui existaient déjà.
Certains des arguments qu’avancent les pessimistes quant aux titres valeur tiennent toujours la route. Plusieurs de ces sociétés ont vu leurs avantages concurrentiels attaqués par les géants du Web. Le fait que certains titres technologiques puissent être surévalués ne veut pas automatiquement dire que les titres aux faibles évaluations vont rebondir. De plus, les faibles taux d’intérêt ont aussi pour effet de donner plus de valeur relative à la croissance future. Une remontée des taux viendrait tempérer cet avantage, mais bien malin celui qui peut vraiment dire quand les taux monteront après toutes les fois où ces « inévitables hausses » ne sont jamais arrivées.
Un débat existe aussi sur ce que constitue vraiment l’investissement valeur. Certains critères traditionnellement employés pour la mesure, comme la valeur comptable, pourraient ne plus être pertinente en raison de l’importance qu’ont pris les investissements intangibles pour de nombreuses entreprises. Le principe d’investir dans des sociétés dont la valeur intrinsèque est supérieure au prix de l’action demeurera toujours, mais les critères pour capter cette réalité sont peut-être à réviser.
Une question de diversification
Si l’investisseur autonome qui choisit des titres individuels peut développer ses propres critères, le détenteur de FNB doit s’en remettre aux méthodes des grands indices. En tant qu’investisseur canadien, nos lecteurs devraient porter une attention toute particulière à la diversification.
En effet, l’indice MSCI Canada Valeur a une pondération de 55 % dans le secteur des financières et de 25 % dans le secteur de l’énergie. À ce compte, on peut se demander si un simple fonds indiciel calquant le S&P/TSX, déjà très concentré dans ces deux secteurs, ne fait tout simplement pas l’affaire.
À l’échelle mondiale, le facteur valeur est mieux diversifié. À cet égard, l’indice MSCI Monde Valeur se distingue même avantageusement par rapport au MSCI Monde Croissance. Certes, les financières représentent 21 % du MSCI Monde, mais le reste de la tarte demeure mieux répartie, avec les titres industriels et ceux de la santé qui suivent, presque ex æquo, à 12 %. L’entreprise la plus importante de cet indice est Johnson & Johnson (JNJ, 147,37 $ US) et représente 1,79 % de l’indice.
Le MSCI Monde Croissance, pour sa part, est plus concentré, avec 33 % dans le secteur des technologies de l’information. À eux seuls, les géants du Web que sont Microsoft (MSFT, 211,08 $ US), Facebook (FB, 271,97 $ US), Alphabet (GOOG, 1 746,78 $ US), Amazon (AMZN, 3 105,46 $ US) et Apple (AAPL, 118,03 $ US) représentent aussi le quart de l’indice.
On peut tout de même se questionner sur la pertinence d’ajouter un filtre valeur à ses FNB. Sur une période de 10 ans, le MSCI Monde Valeur a donné un rendement annuel de 6,17 % et le MSCI Monde Croissance, de 12,15 %. Oui, le style croissance s’est clairement démarqué, mais l’approche indicielle à sa plus simple expression a tout de même procuré un bon rendement de 9,25 % pour le MSCI Monde.
À un moment où les arguments en faveur et contre le retour en force du style valeur ont chacun leur mérite ; peut-être vaut-il mieux s’en tenir aux bons vieux fonds indiciels traditionnels, qui visent plus large et sont à moindre coût.