Les travailleurs syndiqués du Canadien National (CN) et du Canadien Pacifique Kansas City (CPKC) pourraient déclencher une grève dans les prochaines semaines. (Photo: 123RF)
ANALYSE ÉCONOMIQUE. Des infirmières aux enseignants aux restaurateurs, on ne compte plus les professions où les travailleurs se disent épuisés, stressés ou à bout de souffle. Or, une profession passe complètement sous notre radar collectif, alors qu’elle en voit pourtant de toutes les couleurs depuis quatre ans: les responsables en logistique dans nos entreprises.
On va se dire les vraies affaires, pour reprendre une expression consacrée: au niveau de la logistique, depuis 2020, les entreprises passent vraiment un sale temps, et ce, aussi bien pour celles qui exportent, importent ou vendent leurs produits d’un océan à l’autre au Canada.
La liste des principales tuiles qui se sont abattues sur elles en si peu de temps — qui ont fait bondir les prix et occasionné des délais — est impressionnante. Et ce n’est pas terminé, car les travailleurs syndiqués du Canadien National (CN) et du Canadien Pacifique Kansas City (CPKC) pourraient déclencher une grève dans les prochaines semaines.
Février 2020. Des Autochtones ont manifesté et bloqué des voies ferrées dans l’ouest et le centre du pays afin de s’opposer au projet de gazoduc Costal GasLink, en Colombie-Britannique, qui permet d’exporter du gaz naturel en Asie.
Mars 2020. Début de la pandémie de COVID-19 en Amérique du Nord et de la fermeture des entreprises et des commerces non essentiels au Québec, dont certains demeureront en pause forcée plus longtemps que d’autres.
Juillet 2020. Les débardeurs du port de Montréal ont déclenché une grève qui a duré 13 jours et qui a perturbé les activités des transporteurs, des exportateurs et des importateurs.
2020-2021. Pénurie de conteneurs à travers le monde en raison de la pandémie, une crise unique depuis la conteneurisation du commerce international dans les années 1950.
Novembre 2021. Des inondations en Colombie-Britannique ont perturbé les chaînes logistiques, incluant les activités du port de Vancouver, une infrastructure stratégique pour commercer avec l’Asie, à commencer par la Chine, deuxième marché d’exportation et d’importation du Québec.
Des semi-remorques et des voitures sont abandonnées sur la route 1, alors que l’eau continue de couvrir les voies en direction est de la route, le 18 novembre 2021, à Abbotsford, en Colombie-Britannique. (Photo: Getty Images)
Février 2022. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a fait augmenter le prix de plusieurs produits de base et les frais de transport, sans parler de la perturbation de la configuration de plusieurs chaînes d’approvisionnement en raison des sanctions occidentales sur les importations russes.
Octobre 2023. L’attaque terroriste du Hamas en Israël et les bombardements meurtriers de l’armée israélienne dans la bande Gaza ont provoqué une crise en mer Rouge, incitant les Houthis yéménites à attaquer la marine marchande internationale.
Dans ce contexte, le risque du déclenchement d’une grève d’envergure dans le transport ferroviaire au Canada doit rappeler de bien mauvais souvenirs aux responsables des approvisionnements et des expéditions.
Bien entendu, le droit de grève est un droit fondamental et inaliénable.
En revanche, on peut comprendre l’exaspération des entreprises après quatre années de courses à obstacles, d’autant plus que les alternatives à court terme ne sont pas si nombreuses — il y en a toutefois plus à long terme.
Alternatives à court et à moyen terme
À court terme, advenant une grève du CN et du CPKC, il n’y a pas 36 000 solutions pour transporter des marchandises, des matières premières ou des carburants au Canada, par exemple pour les acheminer ou les rapatrier du port de Vancouver: il faut utiliser le transport routier.
Comme l’industrie du camionnage ne peut pas compenser entièrement l’offre de service ferroviaire, les coûts du transport exploseront pour les entreprises chanceuses qui auront accès à des camions.
Dans certains cas, le fret aérien peut être une alternative pour certains produits pas trop lourds ; on l’a vu durant la pandémie. Mais là aussi, la note sera assurément très salée pour les entreprises.
Au niveau des approvisionnements, stocker davantage dans les prochains jours et semaines — «juste-au-cas -où», comme ça s’est fait régulièrement durant la pandémie — est une autre alternative. En revanche, elle a aussi ses limites, car il faut de l’espace (par nature limitée) et que cette gestion des approvisionnements est plus coûteuse.
Pour réduire de futurs risques d’interruptions de leur chaîne logistique (approvisionnements et expéditions), les entreprises peuvent aussi opter pour des stratégies plus structurantes.
La substitution aux importations en est une. Grosso modo, il s’agit de dénicher un fournisseur québécois qui fait la même chose qu’un fournisseur situé en Asie, par exemple. Investissement Québec a d’ailleurs un outil pour aider les entreprises dans cette réflexion.
Une stratégie plus transitoire pourrait être de diversifier les sources d’approvisionnement. Il s’agit ici de trouver une alternative au Québec afin de réduire le poids des approvisionnements en Asie dans une chaîne de valeur, mais on garde quand même un fournisseur en Asie.
Au niveau des expéditions, une stratégie potentielle consiste aussi à diversifier les routes commerciales. Par exemple, si une entreprise exporte dix conteneurs par année en Chine, elle pourrait en faire transiter cinq par le port Vancouver et cinq par le port de Montréal, en passant par la Méditerranée et le canal de Suez.
Diversification des marchés
La diversification des marchés d’exportation est aussi une stratégie classique à considérer à terme. Par exemple, si une entreprise vend ses produits en Asie, aux États-Unis et en Europe, elle réduit grandement le risque qu’une inondation ou une grève au Canada affectent en même temps toutes ses routes commerciales.
Bien malin qui peut prédire les futures tuiles logistiques qui s’abattront sur nos entreprises dans les prochains mois et les prochaines années.
Si le passé est garant de l’avenir, il y en aura assurément de nouvelles.
Les responsables des approvisionnements et des expéditions ont fait preuve d’une grande résilience et ingéniosité depuis quatre ans.
Aussi, ils surmonteront les prochaines crises.
Mais on comprend qu’ils évoluent dans un contexte très incertain depuis quelques années.
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