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M. Legault, vous ne connaissez rien aux ressources humaines

Le courrier des lecteurs|Publié le 08 novembre 2023

M. Legault, vous ne connaissez rien aux ressources humaines

«François Legault finit par croire que les conditions de travail offertes dans la fonction publique sont à la fois incroyablement attractives pour les candidats et mobilisatrices pour les employés actuels.» (Photo: Getty Images)

Un texte de Kévyn Gagné, CRIA, M. Sc., directeur des ressources humaines, Franklin Empire

 

COURRIER DES LECTEURS. Je suis tanné de payer, d’attendre, et de devoir endurer ce système public qui tombe en lambeaux; tanné d’être contraint d’accepter votre style de gestion; tanné de me faire ensevelir par les discours bancals des leaders syndicaux; tanné de la lourde structure des syndicats nationaux; suis tanné de revoir le même sempiternel mécanisme de négociation collective faire défaut tous les 4 ans, et je suis surtout blasé de voir tout ce beau monde se démener pour trouver des excuses pour justifier leur emploi. Ce texte-ci aurait pu être écrit il y a 4 ans et pourrait être republié dans 4 ans, et le contenu serait malheureusement toujours d’actualité.

Actuellement, j’ai l’impression, que dis-je, j’ai la vive conviction d’assister, impuissant et sans mon consentement, à un combat entre deux pugilistes, qui en plus de ne pas se respecter, sont de très mauvais boxeurs amateurs incapables de se battre, mais qui ont fini par se convaincre mutuellement du contraire. Si vous êtes amateur de boxe comme je le suis, vous êtes indéniablement déçu du combat.

Dans le coin gauche, on retrouve un François Legault ne tolèrerait même pas de travailler dans sa propre fonction publique. Par manque d’intérêt, par manque d’occasions favorables, parce que les salaires attrayants n’y sont pas, et surtout parce qu’il ne passerait pas le test de l’entrevue. Bien des recruteurs trouveraient sa candidature alléchante sur son remarquable CV, mais très peu de recruteurs pourraient être convaincus des réponses de M. Legault quand vient le temps de parler de gestion des employés, de mesures d’attractivités et de mobilisations à mettre en place, de stratégie de recrutement et de solutions face à la main-d’œuvre et très peu de recruteurs donneraient des annotations favorables à leur grille d’analyse en matière de rémunération et de gestion de celle-ci. Il est tout simplement incapable de se vendre et incapable de nous convaincre qu’il est l’homme de la situation. Quoique les RH connaissent les mécanismes et ne l’embaucheraient pas, la population a quand même voté pour le moins pire candidat.

Depuis des semaines déjà que j’entends et lis les déclarations chocs de M. Legault qui tente de défendre son bilan et ses positions dans la négociation actuelle en disant que de toute façon ce n’est pas mieux dans le secteur privé et encore moins évident chez les employés non syndiqués. À force de s’écouter déblatérer, M. Legault finit par croire que les conditions de travail offertes dans la fonction publique sont à la fois incroyablement attractives pour les candidats et mobilisatrices pour les employés actuels.

À SUIVRE: Comprendre les humains

Comprendre les humains

M. Legault est totalement déconnecté de la réalité du merveilleux monde du travail. Il ne connait rien aux ressources humaines, rien à la dotation, rien à l’équité salariale, rien à l’évaluation des postes et rien aux humains qui se cachent derrière le numéro d’employé. Savoir gérer des chiffres, en présumant que M. Legault sait gérer les finances de l’État, ce n’est pas savoir gérer des humains. Savoir négocier et être un bon négociateur n’est pas un indicateur de réussite et de compréhension des intérêts et des humains qui se trouvent derrière les processus et les mécanismes de négociation.

N’étant pas fiscaliste, je ne parle pas de fiscalité. N’étant pas économiste, je ne m’aventure pas sur les théories économiques. Et ne connaissant rien à la gestion de portes-feuilles, je laisse ce travail aux experts. Toutefois, étant un professionnel RH, je m’occupe et me dédie aux humains et à leurs interrelations. Je n’ai pas la prétention de tout connaitre, mais je connais assez bien mon sujet pour en parler et décrier l’incompréhension totale de M. Legault et de toutes ces inepties lorsqu’il parle de gestion d’employés. Négocier à des tables de négociations collectives avec des leaders syndicaux ne rime pas avec le défi du marché du travail actuel et des humains qui forme ce marché.

Puisque M. Legault saute rapidement aux conclusions lorsqu’il fait le pont entre des points de pourcentage et la vie personnelle et professionnelle des 600 000 employés de l’État, faisons de même avec les conclusions de Patrice Jalette, professeur à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, qui a publié une étude intitulée « Les relations professionnelles à l’heure de la pénurie de main-d’œuvre » dans le journal Chronique internationale de l’IRES . Au chapitre de la rémunération, Patrice Jalette a constaté que d’importantes hausses de salaire ont été négociées dans plusieurs entreprises depuis 2020. Les employeurs et les syndicats, dans le secteur privé, n’attendent plus l’échéance de la convention collective pour revoir les salaires à la hausse. Ils négocient de plus en plus de lettres d’entente afin de rester compétitifs avec le marché et non pas avec les employés syndiqués de la fonction publique.

 

À SUIVRE: Aspect pécuniaire

Aspect pécuniaire

M. Legault, laissons les aspects normatifs et contractuels de côté, laissons les conditions de travail désastreuses pour lesquels votre mutisme vous honore, et concentrons-nous uniquement sur l’aspect pécuniaire. Ainsi, des augmentations salariales de l’ordre de 9% sur 5 ans ou bien votre version révisée offrant 10,3% sur 5 ans sont une blague. Qui pensez-vous attirer avec ces chiffres qui ne peuvent plus cacher les conditions misérables que vous offrez à vos employés? Qui pensez-vous retenir quand toutes les données du privé leur donnent raison? Hormis me convaincre que vous êtes déconnecté de la réalité des travailleurs, vos travailleurs, que tentez-vous de nous faire avaler?

Pour pallier la pénurie de la main-d’œuvre, pour offrir des conditions de travail attractives, pour recruter des gens aujourd’hui et non à la suite du dépôt du prochain budget, pour pourvoir les postes clés ou stratégiques avec les bons candidats ou les bons employés afin d’améliorer la qualité du service qui se doit d’être rendu à la population, pour retenir les départs à la retraite et les départs vers le secteur privé ou vers d’autres professions, M. Legault, voue ne proposez rien de concret. Vous parlez d’argent et tentez de nous convaincre que vos chiffres vont résoudre tous les maux liés aux ressources humaines.

Parlant de chiffres, sur votre propre site de l’Institut de la statistique du Québec, vous publiez en novembre 2022 que les employés de l’administration québécoise gagnent en moyenne 55 652 $, soit un salaire de 11,9 % inférieur à celui de l’ensemble des autres salariés québécois travaillant dans les entreprises de 200 employés et plus. Vous souligniez aussi observer un retard de 8,7 % par rapport aux employés du secteur privé.

Parlant toujours de chiffres puisque vous aimez les chiffres, M. Legault, vos conseillers vous ont-ils dit que dès février 2023, les employeurs québécois prévoyaient octroyer des augmentations salariales moyennes de 4,4 % en 2023. Cette augmentation prévue, et qui s’est concrétisée, est supérieure à celle réellement accordée au Québec en 2022 (4 %). C’est ce que révèle la mise à jour de l’enquête sur les Prévisions salariales 2023 publiée aujourd’hui par l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés .

À SUIVRE: Les syndicats, quossa donne?

Les syndicats, quossa donne?

Après avoir assommé le pugiliste du coin gauche, voyons maintenant celui se trouvant dans le coin droit, soit les leaders syndicaux du secteur public. Première question: à quoi servez-vous si vous n’est pas capable de négocier plus que l’inflation? Pourquoi continuer de vous accorder un monopole de représentation si vous n’êtes pas en mesure d’aller chercher plus que le minimum? À peu près tous les comparables du secteur privé plantent leur clou dans votre cercueil. Vous croyez que sans vous le système planterait, eh bien, il en serait peut-être mieux ainsi afin de repartir sur de meilleures bases. Vous êtes convaincu de l’importance de votre rôle et qu’en votre absence il y aurait abus. Premièrement, dans le secteur privé, il n’est pas nécessaire de paralyser le système avec des grèves générales illimitées pour vos 600 000 membres afin d’aller chercher 0.25% de plus par année. Les gens vont chercher des hausses encore plus importantes et sans l’apport de votre aide. Même les entreprises privées syndiquées octroient plus que le minimum que vous allez chercher.

M. Legault, pour justifier votre entêtement et pour profiter de la stratégie du temps contre des syndicats incapables de négocier et qui commenceront bientôt à se mettre la population à dos, vous dites que les Québécois n’ont pas la capacité de payer! C’est faux, vous et moi payons déjà pour des services, à la différence de vous, je ne reçois pas ces services. Plutôt que de nous questionner sur notre capacité de payer, nous devons plutôt nous questionner sur votre capacité de gérer les deniers publics.