(Photo: 123RF)
CHRONIQUE. Depuis 1945, on tient la fluidité du commerce international pour acquise, mais elle n’est pas le fruit du hasard. Les échanges du Québec à l’étranger se déroulent bien, car les grandes routes commerciales sont sécuritaires et policées par la marine américaine. C’est pourquoi après quatre ans d’un gouvernement Trump isolationniste et imprévisible, les entreprises de partout sur la planète ont intérêt à ce que les États-Unis reprennent le rôle de leader dans le monde.
Contrairement à la situation qui prévaut dans les pays, il n’y a pas de police qui assure la sécurité et la stabilité dans le monde, malgré la présence de l’Organisation des Nations unies (ONU) et ses missions de maintien de la paix. Aussi, le système international demeure avant tout anarchique (dans le sens où il y a absence d’autorité ou de gouvernement mondial), selon les travaux de Kenneth W. Walt (1924‑2013), une figure de proue de la théorie des relations internationales.
Ce sont donc les grandes puissances qui assurent la stabilité du système politique international et, de facto, celle du commerce international. Or, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce sont les États-Unis (et leurs alliés) qui ont assuré une relative stabilité mondiale, malgré la présence d’une autre superpuissance, l’Union soviétique, qui n’a jamais toutefois contrôlé les mers du globe.
Après la fin de la guerre froide (1945‑1991), le monde a connu brièvement un moment unipolaire, où les États-Unis ont dominé le système international, leur permettant par exemple d’attaquer l’Irak en 2003, malgré l’opposition de l’ONU et de leurs fidèles alliés, comme le Canada, la France ou l’Allemagne.
Cette courte fenêtre historique d’à peine deux décennies a toutefois commencé à se refermer lors de la récession mondiale de 2008‑2009. La montée en puissance de la Chine communiste (et, dans une moindre mesure, la renaissance de la Russie sur la scène mondiale) a aussi contribué à ce phénomène.
L’ordre ébranlé
Puis, en 2016, l’élection de Donald Trump a accentué cette tendance, avec un électrochoc qui a bouleversé l’ordre international que les Américains ont mis en place après 1945.
Désintérêt pour le multilatéralisme, tensions avec les alliés historiques des États-Unis, rejet de l’accord sur le nucléaire iranien qui permettait pourtant de stabiliser le Moyen-Orient… Washington a pris des décisions qui ont affaibli le système international et inquiété plusieurs de ses partenaires, alors que la Chine et la Russie en profitaient pour avancer leurs pions dans leur zone d’influence.
C’est pourquoi la victoire du démocrate Joe Biden lors de l’élection présidentielle américaine du 3 novembre a été bien si accueillie dans le monde – et avec un manque d’enthousiasme poli, à Pékin et à Moscou. En effet, un gouvernement Biden a bien l’intention de renouer avec le rôle historique des États-Unis de « leader du monde libre » depuis 1945.
Dans l’édition de mars-avril de Foreign Affairs, l’ancien vice-président de Barack Obama a d’ailleurs signé une tribune, Why America Must Lead Again (Rescuing U.S. Foreign Policy After Trump), dans laquelle il expliquait sa vision et ses intentions s’il gagnait l’investiture démocrate, puis la course à la Maison-Blanche.
Tout y est ou presque : renforcement des alliances historiques, retour au multilatéralisme (incluant l’Accord de Paris sur le climat), promotion de la démocratie globale, alors que « la démocratie et le pluralisme sont menacés » dans le monde, selon l’ONG Freedom House.
Malgré toute leur bonne volonté, les Américains ont toutefois moins de marge de manœuvre qu’auparavant. Le monde a changé ces dernières années, à commencer par « la progression d’une Chine qui procède avec méthode et à long terme », souligne avec justesse Le Monde diplomatique .
Pour autant, si les États-Unis ne peuvent plus dominer le monde comme durant leur brève phase unipolaire (était-ce du reste souhaitable ?), ils peuvent en revanche à nouveau l’influencer positivement en raison de leur réseau d’alliances qui n’a aucune commune mesure avec celui de la Chine ou de la Russie.
Malgré des divergences sur certaines questions, le Canada, les puissances européennes (Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie), le Japon, la Corée du Sud sont de fidèles alliés des États-Unis, sans parler du rapprochement en cours avec l’Inde (rivale de la Chine) et l’Indonésie. Les Américains sont également influents au sein des principales organisations internationales que sont l’ONU, l’alliance militaire atlantique (l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord), la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.
Les États-Unis sont loin d’être une démocratie parfaite, en plus d’être très une société divisée. C’est sans parler d’une présidence Trump qui a mis à mal les institutions du pays, mais ces dernières ont néanmoins résisté —on l’oublie souvent, ce sont les États-Unis qui ont inventé la vraie séparation des pouvoirs, au 18e siècle.
Malgré tout, nos entreprises actives sur les marchés étrangers ne peuvent que bénéficier d’une économie mondiale où les Américains exercent un leadership plus fort que durant ces quatre dernières années afin de stabiliser le système et le commerce international.
Si un nouveau leadership américain vous inquiète ou vous répugne, posez-vous cette question toute simple : à terme et dans l’absolu, qui préférez-vous qui police les principales routes commerciales dans le monde ? Les États-Unis ou la Chine ? La marine d’une démocratie ou la marine d’une dictature ?