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Mark de Rond, s’immerger dans des situations extrêmes

Karl Moore|Publié le 16 août 2021

Mark de Rond, s’immerger dans des situations extrêmes

(Photo: courtoisie)

BLOGUE INVITÉ. Après une année placée sous le signe des extrêmes — ennui extrême, solitude extrême, peur extrême — le moment n’a jamais été aussi propice pour réfléchir à la manière dont les humains agissent et réagissent dans des situations qui nous poussent à nos limites.

 Mark de Rond, professeur d’ethnographie organisationnelle à l’université de Cambridge, s’est longtemps immergé dans des situations drastiques dans ce but précis : observer le comportement humain dans des contextes anormaux. Grâce à des recherches approfondies sur le terrain, cet observateur perpétuel a développé une capacité aiguë à enseigner à ses étudiants comment gérer les situations de haute pression.

«Je suis intensément curieux de savoir ce qui arrive aux gens lorsqu’ils sont forcés de se retrouver dans des environnements inconfortables ou extrêmes, dit M. de Rond. L’idée sous-jacente est très familière : en plaçant les gens dans quelque chose comme une cocotte-minute, cela aide à enfumer les problèmes qui existent dans la vie de tous les jours, mais qui sont généralement si subtils qu’ils sont difficiles à observer. Dès que l’on fait monter la température, ils ont tendance à apparaître au grand jour. Je pense que c’est l’une des caractéristiques attrayantes de la recherche sur les contextes extrêmes en général.»

Les recherches de M. de Rond sur le terrain, qui vont de l’immersion dans des zones de guerre à l’observation de l’une des équipes de chasseurs de pédophiles les plus performantes du Royaume-Uni, lui ont permis de décrypter la manière dont les dirigeants opèrent dans ces situations de hautes pressions et d’identifier les compétences les mieux adaptées aux circonstances extrêmes.

La question essentielle est de savoir comment les dirigeants peuvent permettre à leurs équipes de survivre et de s’épanouir dans les moments difficiles. Après tout, la force d’un leader ne se définit pas par la façon dont il guide son équipe en temps de paix, mais par la façon dont il relève le défi lorsque les choses se compliquent.

«Il faut avoir une idée très claire de la raison pour laquelle on est ici et de ce qui est important, dit M. de Rond. Dans une certaine mesure, les environnements extrêmes vous aident à y parvenir. C’est pourquoi les services d’urgence ont un côté positif, car au bout du compte, face à une victime, si vous n’agissez pas rapidement et efficacement, cette personne peut mourir. Les environnements extrêmes cristallisent donc les priorités. Je pense qu’il est vraiment important de connaître cela afin d’être en mesure de communiquer à l’équipe ce qui compte le plus et pourquoi, à tout moment.»

 

L’exemple de Roger Stephens

M. de Rond utilise l’exemple de Roger Stephens, ancien président du Cambridge Rowing Club, pour illustrer son propos. Parce que la seule course de l’année qui compte vraiment pour le club est la compétition Oxford-Cambridge, il condense les processus de décision de l’équipe pour s’assurer que tout ce qu’elle fait est conforme à un objectif clé : gagner cette course.

Le processus de prise de décision noir et blanc de Stephens a été ramené à la seule question de savoir si ce que l’équipe fait permettra ou non au bateau d’aller plus vite. La question de Stephens a été adoptée et recadrée par le British VIII à l’approche des Jeux olympiques de Sydney et a depuis fait son chemin dans les clubs d’aviron du monde entier. Quel que soit le secteur, les dirigeants peuvent s’inspirer de l’outil de Stephens : «Est-ce que cela fera aller le bateau plus vite ?»

«La vie est complexe, mais si vous êtes contraint à formuler quelque chose comme une question de Stephens pour votre propre équipe, à quoi cela pourrait-il ressembler ?, demande M. de Rond. Quel est votre bateau ? Votre bateau est votre objectif, n’est-ce pas ? Si vous commencez par-là, comment pouvez-vous transformer cet objectif en une question, ou un ensemble de critères, pour aider les autres à faire des choix ? Après avoir effectué cet exercice avec des équipes pendant plusieurs années, vous découvrez que la véritable valeur ajoutée se trouve dans le processus qui mène à la question de Stephens, et non seulement dans la réponse. Il s’agit d’amener les gens à parler de ce qui compte le plus.»

Pour déterminer l’objectif principal d’une équipe, la meilleure façon de procéder est parfois de s’asseoir et d’écouter, plutôt que de faire constamment du bruit.

«Les leaders les plus efficaces que j’ai vus, y compris dans des zones de guerre, étaient souvent ceux qui se tenaient à l’arrière-plan, dit M. de Rond. Ils n’ont pas été la présence vocale typique dans la pièce. Ils ont simplement été là. Ils ont été très bons pour observer, résumer ce qu’ils voyaient et établir des priorités.»

La combinaison gagnante de l’observation et de la conversation semble être la clé pour débloquer la véritable raison d’être d’un groupe. En réduisant l’objectif de leur équipe, que ce soit par la nature de leur environnement extrême ou en suscitant des discussions pour déterminer leur propre question de Stephens, les leaders peuvent réduire précisément ce qui fera avancer leur bateau plus vite.

Karl Moore et Haley Crawford. Karl est professeur agrégé dans la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill et Haley est récente diplômée de la Ivey Business School.