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Analyse de la rédaction

Mini-budget Freeland: entre espoir et incertitudes

Jean-Paul Gagné|Publié le 01 Décembre 2020

Mini-budget Freeland: entre espoir et incertitudes

L’exposé budgétaire de Mme Freeland vise d’abord à rassurer les Canadiens. (Photo: Getty Images)

BLOGUE. C’est bien plus qu’une mise à jour économique que vient de présenter Chrystia Freeland. À défaut de qualifier son exposé de budget véritable, on peut certainement le voir comme un mini-budget. En effet, on y trouve non seulement des prévisions économiques et un état des revenus et dépenses du gouvernement, mais aussi et surtout des prévisions budgétaires quinquennales, de nouvelles sources de revenus, des dépenses additionnelles et de nouveaux engagements.

Malgré l’énorme déficit anticipé de 382 G$ pour l’exercice en cours, la ministre fait miroiter des dépenses additionnelles de 70 à 100 G$ au cours des trois prochaines années pour sortir l’économie de la récession. Ce plan de relance viserait à rendre notre économie « plus verte, plus novatrice, plus inclusive et plus compétitive », comme elle l’avait annoncé lors de sa nomination comme ministre des Finances en août dernier. Cette orientation correspond aux valeurs de Mme Freeland, mais c’est peut-être aussi un signe avant-coureur du prochain programme électoral du Parti libéral.

Alors que le déficit courant portera la dette fédérale à 1 100 G$ en mars prochain, soit 51 % du PIB, les dépenses additionnelles de stimulation prévues par la ministre la feraient passer à 1 400 G$, soit 58 % du PIB en mars 2024. C’est un ratio très élevé selon les standards canadiens, mais tout à fait acceptable par rapport à celui des autres pays du G7. Cela devrait rassurer les marchés financiers.

Même si le déficit est appelé à baisser, celui-ci restera très élevé pour un avenir prévisible (110 G$ en 2022-2023 avec les mesures de relance), ce qui empêchera la dette de se résorber. Grâce au faible niveau des taux d’intérêt, celle-ci ne sera pas menaçante aussi longtemps que ne surviendra pas une autre récession ou une autre pandémie, ce qui n’est pas impossible. Un tel scénario nous rendrait beaucoup plus vulnérables.

 

Rassurer les Canadiens

L’exposé budgétaire de Mme Freeland vise d’abord à rassurer les Canadiens. Au total, ce sont 53 G$ de nouvelles mesures qui sont ajoutées au cours des cinq prochaines années.

Des mesures de remédiation des effets de la pandémie sont prolongées (subvention salariale d’urgence, subvention pour le loyer, compte d’urgence pour les entreprises) et on en introduit de nouvelles, soit 2,4 G$ d’allocations spéciales pour les enfants de moins de six ans, 500 M$ additionnels pour soutenir l’industrie touristique, des crédits pour les secteurs de la culture et de l’événementiel, 500 M$ pour le transport aérien régional et des infrastructures aéroportuaires, dont la station du REM à Montréal-Trudeau.

Le développement durable n’a pas été oublié : 2,6 G$ seront consacrés en sept ans à l’amélioration de l’efficacité énergétique des maisons et 150 M$ serviront à financer l’installation de bornes de recharge.

Le mini-budget comprend aussi des mesures destinées à accroître les revenus de l’État. Quatre mesures qui ciblent l’économie numérique rapporteront 6,5 G$ sur cinq ans. Les sociétés étrangères, comme Netflix, qui vendent des produits numériques seront tenues de percevoir les taxes de vente (recettes de 1,2 G$ en cinq ans) et celles (comme Amazon) qui gèrent des entrepôts de traitement de commandes devront faire de même (1,6 G$). Les logements improductifs détenus par des non-résidents à des fins spéculatives seront taxés tout comme certaines entreprises d’autres services numériques.

Bonne nouvelle, le gouvernement investira 606 M$ additionnels en cinq ans pour combattre l’évasion fiscale et moderniser les règles anti-évitement. C’est rentable. Plus de 3 G$ d’impôts ont ainsi été perçus au cours des cinq dernières années grâce à des investissements de 563 M$.

Aucun impôt additionnel n’est proposé, mais la ministre propose d’éliminer l’avantage fiscal pour les contribuables qui bénéficient d’options d’achat d’actions pour les montants d’options exercées supérieurs à 200 000 $.

Par ailleurs, deux petites mesures fiscales reliées à la pandémie réduiront les recettes de l’État. La TPS sera éliminée sur les masques et écrans faciaux (95 M$ en deux ans) et la déduction pour les frais de bureau à domicile sera simplifiée (210 M$ en une année).

 

On n’a pas fini de dépenser

Il faudra attendre le prochain budget, prévu en février ou en mars, pour voir plus clair. Le gouvernement fédéral a déjà dépensé 407 G$, soit près de 19 % du PIB canadien, pour lutter contre la pandémie. Cette proportion, la même qu’au Japon, est la plus élevée du G7.

Et ce n’est pas fini puisque d’autres industries, telles que l’industrie aérospatiale et l’aviation civile, continuent de souffrir et pourraient à leur tour obtenir de l’aide. On peut toutefois penser qu’il s’agirait dans leur cas principalement de prêts et non de subventions.

Les provinces ont aussi des attentes pour le financement de leurs services de santé, qui ont été très malmenées pendant la pandémie.

Il ne serait donc pas étonnant que d’autres dépenses soient annoncées d’ici le prochain budget et même lors du prochain exposé budgétaire de Mme Freeland. Le déficit de 400 G$ que d’aucuns anticipaient pourrait bien alors devenir une réalité.