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Annie Boilard

Travailler agilement en équipe

Annie Boilard

Expert(e) invité(e)

Mon collègue s’emporte lorsqu’il est stressé. Que faire?

Annie Boilard|Publié le 15 février 2024

Mon collègue s’emporte lorsqu’il est stressé. Que faire?

Gestionnaires, vous ne pouvez pas tolérer un tel comportement. Voici comment corriger le tir: (Photo: 123RF)

EXPERTE INVITÉE. Quelques jours après son arrivée dans l’équipe, Isabelle observe son collègue Ali au téléphone avec un client insatisfait. Après avoir raccroché, il blasphème, bourrasse les crayons autour de lui et répète d’un ton intense que ça n’a pas de sens, qu’on ne pourra pas y arriver!

Ce qui surprend le plus Isabelle, c’est la réaction de ses collègues: ceux-ci s’éloignent le temps que cette tempête passe.

On lui dit de ne pas s’en faire, qu’«Ali est comme ça, qu’il s’emballe quand il est stressé», et que demain «tout reviendra à la normale.»

Le hic, c’est qu’une telle explosion n’est en rien anodine.

Laisser son collègue s’emporter parce qu’il est stressé, fermer les yeux sur un vocabulaire inapproprié et des gestes agressifs «parce qu’il est de même» n’est p a s normal.

La civilité dans les équipes de travail est imposée par la Loi sur la santé et la sécurité au travail. Un tel comportement va à l’encontre de l’article 9, qui stipule que «le travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique et psychique.» Le guide de l’éthique de la CNESST prévoit que les employés doivent se comporter de façon civilisée en tout temps.

 

Reconnaitre l’incivilité au travail

Comment reconnait-on l’incivilité? Elle se manifeste généralement de façon passive et subtile. Elle est plus souvent verbale que physique. Ça peut prendre plusieurs formes:

– Orale: sacrer, parler d’un ton offensant, interrompre son interlocuteur;

– Comportementale: refuser de saluer quelqu’un;

– Physique: bousculer, lancer des objets, taper sur son bureau;

– Attitude: partir lorsque quelqu’un est en train de parler.

Ce n’est pas un hasard si dans cette mise en situation Isabelle vient tout juste de se joindre à l’organisation: ce sont souvent les nouveaux équipiers qui alertent les autres. Avec le temps, ceux-ci ont appris à vivre, à tort, avec de tels comportements inacceptables.

En mots simples, conformément au guide de la CNESST: «l’employé doit exercer ses fonctions en adoptant en tout temps une attitude polie, courtoise et respectueuse à l’égard de ses collègues de travail, du personnel, des gestionnaires et des clientèles, tant verbalement que par écrit».

 

Alors, que fait-on avec Ali?

Ali peut vivre des situations stressantes générant des émotions qu’il peine à naviguer. Il est légitime qu’il souhaite s’isoler ou effectuer des exercices de respiration. Personne ne demande à Ali d’être insensible. En contrepartie, il ne peut pas faire vivre aux autres ses sauts d’humeur; un tel comportement représenterait un coût pour l’employeur.

Gestionnaire, il faut rectifier la situation. Voici comment faire :

1. Intervenir et mettre fin à l’incivilité au moment où elle se manifeste : on pourrait par exemple demander à l’employé qui exprime des émotions d’une telle intensité de s’éloigner, et mentionner à ses collègues que vous désapprouvez de tels comportements.

 

2. Intervenir auprès de l’employé qui s’est emporté : le gestionnaire doit ensuite le rencontrer individuellement, lui exprimer clairement ses attentes à l’égard du comportement et de l’attitude qu’il doit avoir dans son milieu de travail.

Ça pourrait très bien être verbalisé comme suit : «Ali, je comprends tes inquiétudes et frustrations. Je m’attends toutefois à ce que tu gères adéquatement tes émotions, et à ce que tes collègues ne subissent pas tes sauts d’humeur. Le respect et la civilité qui règnent dans notre équipe sont non-négociables.

Il m’arrive aussi d’être frustré. Je prends alors le temps de me calmer avant de parler avec l’équipe. Que feras-tu la prochaine fois pour éviter que cela se reproduise? J’aimerais que tu identifies une piste que tu n’as pas encore explorée (quelque chose de différent de ce que tu as fait jusqu’à présent).»

 

3. Soutenir, outiller et encourager : le gestionnaire doit assurer un suivi, être vigilant et bienveillant afin d’accompagner l’employé dans l’évolution de ses comportements.

Il pourrait par exemple l’aider à identifier ses déclencheurs (les boutons qui lui font perdre le contrôle), les manifestations physiques qu’il ressent lorsque le stress s’intensifie (pour l’aider à identifier promptement les situations), à développer un vocabulaire émotif (s’outiller pour nommer ce qui est présent pour lui) et l’aider à identifier un comportement à adopter dans ces situations (développer un réflexe).

 

4. Au besoin, appliquer des mesures disciplinaires.

Vous pouvez accompagner votre équipe dans la création d’un code de conduite précisant la façon dont les collaborateurs interagiront entre eux.

Truc du métier lors de la réalisation d’un code de conduite: attention aux termes comme «respect» ou «bien communiquer». L’interprétation de ces concepts diffère d’une personne à l’autre. Certains peuvent notamment être d’avis que regarder son cellulaire pendant une rencontre est irrespectueux, alors que d’autres s’en soucient peu. Demandez aux équipes de définir ce que ces termes évoquent chez eux : qu’observerons-nous en présence d’échanges respectueux?

Vous pouvez compléter un diagnostic organisationnel, soit une consultation anonyme des membres de l’équipe. Les données chiffrées forcent les prises de conscience et peuvent devenir des indicateurs (KPI) à suivre dans le temps.

Pour veiller au climat de travail dans le futur, vous pouvez former les employés à la civilité, offrir du coaching personnalisé à ceux qui sont plus réactifs comme Ali, disposer des affiches rappelant la civilité dans vos bureaux et en reparler lors des rencontres d’équipe.

 

Le prix de l’incivilité

L’incivilité plombe la productivité des équipes. Selon un sondage publié dans la Revue Gestion, 98% des employés auraient été témoins d’incivilité au travail. Christine Porath, professeure universitaire et auteure de deux livres sur le sujet, démontre qu’en présence d’incivilité, 66% des employés ralentissent leur cadence de travail (diminue leurs efforts), 80% perdent du temps à repenser ou reparler des évènements et 12% démissionnent.

Manifestement, il n’y a pas qu’Isabelle qui est témoin de comportements incivilisés au travail! Pourtant, la CNESST encadre clairement les responsabilités des parties. Dans aucun cas, les histoires comme celle d’Ali ne peuvent être légitimées.