La plus grande transaction immobilière commerciale de l’année est la vente du 1250, boulevard René-Lévesque Ouest : Sun Life et le fonds canadien Prime ont payé 605 M$, soit 586 $ le pied carré, pour faire l’acquisition de cette tour de prestige. (Photo : Jean Gagnon / CC)
LES GRANDS DE L’IMMOBILIER. Rarement a-t-on vu autant d’investissements importants dans le secteur de l’immobilier commercial au Québec. Retour sur les dix plus importantes transactions des 12 derniers mois, et coup d’oeil sur les grandes tendances observées dans ce marché.
Un simple coup d’oeil au classement annuel Les Affaires-JLR Solutions foncières des dix plus importantes transactions immobilières commerciales de l’année au Québec (page 26) suffit pour constater la vigueur de ce marché entre le 1er octobre 2018 et le 30 septembre 2019. Toutes les transactions ont dépassé les 100 millions de dollars. Quatre d’entre elles ont même franchi le cap des 200 M$. Du jamais vu sur la scène immobilière commerciale provinciale au cours d’une même année.
À l’exception du centre commercial Carrefour de l’Estrie, à Sherbrooke (4e rang), neuf de ces grandes transactions ont eu lieu sur le territoire de l’île de Montréal.
Trois grandes tours, deux portefeuilles de bâtiments industriels de plus de 1 million de pieds carrés, un complexe de bureaux, une résidence pour aînés, un terrain de 1,2 million de pieds carrés à réaménager, un centre de données vacant… «Il y a longtemps qu’on n’avait pas vu autant d’activités immobilières commerciales majeures à Montréal impliquant des montants si élevés», constate Sylvain Leclair, vice-président directeur, Québec, Recherche, évaluation et services-conseils chez Groupe Altus.
«Prenez la plus grande transaction immobilière commerciale de l’année, soit la vente du 1250, boulevard René-Lévesque Ouest : Sun Life et le fonds canadien Prime ont payé 605 M$, soit 586 $ le pied carré, pour faire l’acquisition de cette tour de prestige, calcule-t-il. C’est peut-être courant à Toronto et à Vancouver, mais pour Montréal, c’est du jamais vu pour ce type d’immeuble de bureaux.»
Mentionnons que Sun Life occupe le 1er rang de notre classement pour une deuxième année consécutive. En 2018, la société canadienne de services financiers a fait l’acquisition du complexe 7250-7450 rue du Mile End, également à Montréal, pour 155,5 M$.
La nouvelle coqueluche
«Montréal se dirige vers une année record ! C’est une période extraordinaire», renchérit Scott Speirs, vice-président exécutif de l’équipe nationale d’investissement chez CBRE. Et ce n’est pas terminé. De l’avis de cet expert qui analyse le secteur immobilier commercial depuis une bonne vingtaine d’années, la métropole est devenue la nouvelle coqueluche du marché nord-américain. «Le taux de chômage au Québec est à son plus bas, la cote de crédit du Canada a atteint un sommet et Montréal affiche le meilleur PIB de croissance dans tout le pays, signale-t-il. De plus, la situation politique est stable, donc la métropole québécoise attire de plus en plus d’investisseurs de Toronto.»
À ce propos, le gestionnaire immobilier torontois Allied Properties – devenu le nouveau propriétaire du 700, rue de la Gauchetière au coût de 322,5 M$ (2e rang) – vient de faire de Montréal son marché immobilier numéro un au pays.
«Montréal attire également des investisseurs que l’on n’avait jamais vus encore sur la scène immobilière québécoise», souligne M. Speirs. C’est notamment le cas de Spear Street Capital, qui a fait l’acquisition du complexe O Mile-Ex pour la somme de 153 M$ (6e rang).
Le gestionnaire de bâtiments industriels Pure Industrial Real Estate Trust (PIRET), qui appartient à l’investisseur américain Blackstone (62 %) et à Ivanhoé Cambridge (38 %), a pour sa part doublé ses actifs en territoire montréalais grâce à l’acquisition du portefeuille industriel de HOOPP, un fonds de pension ontarien, en septembre. Cette transaction de 249 M$ (3e rang) inclut 11 bâtiments industriels.
En mode repositionnement
Ce qui ressort également des dix plus importantes transactions immobilières commerciales de l’année est le fort intérêt pour des immeubles qui doivent être repositionnés ou réaménagés, note Stefan Fews, associé des groupes de droit des affaires et immobilier chez Stikeman Elliott, à Montréal. «Parce qu’il y a très peu d’immeubles de grande qualité à vendre, les investisseurs n’achètent plus seulement pour bénéficier des loyers mensuels. Ils achètent avec une volonté de rehausser la valeur de leurs nouvelles acquisitions, explique l’avocat. Ils innovent afin de repositionner leur investissement, ce qui permet d’attirer de nouveaux locataires.»
Un défi que devra justement relever la Corporation immobilière Kevric par l’acquisition du 600, rue de la Gauchetière au coût de 187 M$ (5e rang). Actuellement, plus de 85 % des quelque 700 000 pieds carrés d’espaces de cette tour de bureaux sont occupés par les employés du siège social de la Banque Nationale. L’institution financière déménagera en 2023 dans une toute nouvelle tour située au 800, rue Saint-Jacques Ouest, toujours à Montréal.
Le Carrefour de l’Estrie, à Sherbrooke, acquis par le Groupe Mach, ainsi que les terrains et immeubles montréalais de la Brasserie Molson, vendus au Groupe Sélection au coût de 126 M$ (9e rang), fera également l’objet d’un repositionnement immobilier majeur. D’ailleurs, dans ce même secteur de la ville, le Groupe Mach détient le site de la Maison Radio-Canada, qui sera sous peu transformé en Quartier des lumières. Ce projet prévoit l’aménagement d’un hôtel, de logements, d’une galerie marchande et d’une clinique.
La recherche de rendement
Autre élément qui a façonné le marché immobilier cette année : les montants que les investisseurs sont prêts à payer pour leurs nouvelles acquisitions. «Les prix des immeubles commerciaux augmentent, sans que l’on exige des revenus plus élevés», observe Joanie Fontaine, économiste chez JLR Solutions foncières.
Les rendements pour des immeubles commerciaux (excluant le commerce de détail) se situent aujourd’hui entre 4 % et 5 %, selon le Groupe Altus. Il y a actuellement une surenchère à Montréal, ajoute M. Leclair. «Au moment de la mise en ventes des immeubles commerciaux, on observe de premiers prix offerts beaucoup plus élevés qu’il y a cinq ans», indique-t-il.
À ce propos, lors de la période d’activités retenue pour notre classement, JLR a recensé 120 transactions immobilières commerciales de plus de 10 M$. «On en comptait 101 pour la même période l’an dernier. Et seulement 71 il y a deux ans», signale Mme Fontaine. Même si les rendements sont moyens, ils demeurent intéressants si on les compare à ceux des obligations et d’autres actifs financiers, dit-elle.
Cette quête de rendement fait d’ailleurs place à deux types de transactions, soulève pour sa part Jean Laurin, président et chef de la direction de l’agence immobilière Devencore. «Il y a les transactions immobilières que l’on trouve au sein du registre foncier, et celles qui sont intégrées dans des transactions d’affaires. La transaction qui implique le Groupe Maurice et sa trentaine de résidences pour aînés en est un bel exemple», précise-t-il. L’entreprise a cédé 85 % de ses parts à la fiducie de placement immobilier américaine Ventas pour la somme de 2,4 milliards de dollars au printemps dernier. Mais cette transaction ne figure pas au registre foncier.
Que se passe-t-il à Québec ?
À l’exception d’une transaction de 32 M$ qui implique le 730-750, boulevard Charest (acheté par le Groupe Mach), on recense peu de transactions importantes du côté de la ville de Québec en 2019. «Les transactions majeures se font plutôt rares ces temps-ci, et ce n’est pas parce qu’il n’y a rien à vendre», soulève Alain Roy, directeur général du bureau de Québec chez Groupe Altus. Il soutient que le marché de Québec compte actuellement plus d’une dizaine d’immeubles de plus de 10 M$ en vente, officieusement ou officiellement.
Depuis deux ans, observe-t-il, les grands investisseurs nationaux se retirent toutefois du marché de la Vieille Capitale pour concentrer leurs investissements dans les grandes villes telles Toronto, Vancouver et Montréal. «Ce qui fait que le marché de Québec doit se tourner vers des investisseurs locaux, poursuit-il. Des acheteurs dont la majorité n’a cependant pas la même capacité de payer pour des immeubles valant plusieurs dizaines de millions de dollars.»