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«Ne croyez pas tout ce que vous voyez sur internet»

Hugues Foltz|Publié le 06 juin 2022

«Ne croyez pas tout ce que vous voyez sur internet»

La page deeptomcruise, cumulant plus de 3 millions d’abonnés sur TikTok, parodie la vedette. On peut y voir l’acteur qui nous parle de tout et de rien dans une panoplie de situations ou en compagnie d’autres vedettes. (Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. La guerre fait rage en Ukraine depuis maintenant plus de trois mois. Entre les pays «neutres» et ceux qui condamnent cette situation, le climat politique est tendu et il ne semble pas y avoir de consensus. Alors que tous les dirigeants de la planète s’inquiètent d’une potentielle troisième guerre mondiale, l’authenticité des paroles que nous écoutons et des images que nous regardons est plus qu’essentielle.

Le hic, c’est qu’il est devenu étonnamment facile d’être dupés par des «médias synthétiques», un contenu fabriqué de toute pièce à l’aide de l’intelligence artificielle pour modifier ou manipuler des photos, des vidéos et des trames sonores.

C’est le cas du «deepfake», ce phénomène médiatique qui est souvent source de moqueries, de confusion et de craintes, non sans raison.

Le «deepfake», ou l’hypertrucage, est la jonction des mots fake et «deep learning», en référence aux algorithmes d’apprentissage profond qui sont à la base de cette technologie. Elle fait appel à des auto-encodeurs, soit des réseaux de neurones artificiels, pour simuler les mouvements corporels et les expressions faciales d’une personne ciblée avec une telle précision qu’il devient laborieux de discerner le vrai du faux.

La manipulation de photos, et subséquemment de vidéos, est en vogue depuis le début du 20e siècle avec l’avènement du cinéma. Cependant, l’hypertrucage tel qu’on le connaît aujourd’hui a pris racine dans les années 1990 grâce aux recherches et aux avancées menées en intelligence artificielle.

Par la suite, la technologie a été reprise par des amateurs et a gagné en popularité un peu partout sur le web. Une chose est certaine, les «deepfakes» ne manquent jamais d’animer les conversations et les débats.

Ses applications sont multiples et touchent communément l’industrie du divertissement. De nombreux acteurs, chanteurs et autres célébrités de ce monde sont assujettis à ces montages tantôt amusants, tantôt perturbants, qui les dépeignent dans des contextes dont ils n’ont jamais fait partie.

Par exemple, la page deeptomcruise, cumulant plus de 3 millions d’abonnés sur TikTok, parodie la vedette. On peut y voir l’acteur qui nous parle de tout et de rien dans une panoplie de situations ou en compagnie d’autres vedettes. Mais détrompez-vous: le visage de Tom Cruise est tout simplement généré grâce à l’IA et apposé sur le corps de quelqu’un d’autre. Même pour l’œil avisé, la ressemblance est stupéfiante, voire troublante.

Qui plus est, le «deepfake» est un outil médiatique puissant. En Corée, il a été utilisé pour simuler une lectrice de nouvelles bien connue, et la station a prévu utiliser le montage pour dépanner lors de certains reportages de dernière heure. Cette méthode pourrait s’étendre à d’autres pays et donne un bon avant-goût de ce que cette technologie nous réserve dans les années à venir.

L’hypertrucage peut également faire revivre les morts. Il est en effet devenu possible, grâce à des applications comme Deep Nostalgia, de manipuler de vieilles photos pour donner une impression de mouvement. L’espace de quelques secondes, une grand-mère, un conjoint ou un ami depuis longtemps décédés semblent reprendre vie en hochant la tête, en clignant des yeux ou en esquissant un sourire.

Bien entendu, il y a toujours un revers à la médaille. Si la plupart des «deepfakes» ont une saveur humoristique et se veulent inoffensifs, la situation peut rapidement tourner au vinaigre. Une technologie avec autant de potentiel attire les esprits tordus qui s’en servent pour duper, humilier ou faire du chantage.

En politique, les hypertrucages sont particulièrement populaires, surtout pendant les élections. Dans ces vidéos souvent virales, on aperçoit Barack Obama, Donald Trump, Vladimir Poutine ou Kim Jong-un en train de réciter des discours fautifs, propagandistes ou tout simplement ridicules pour attiser la colère des citoyens et influencer le vote du public. Imaginons un instant les répercussions possibles de l’utilisation de ces technologies avec une situation géopolitique aussi épineuse qu’en ce moment!

Voilà donc pourquoi il est d’une importance capitale de se pencher sur l’éthique de l’intelligence artificielle, dans ce domaine comme dans tous les autres. Avec la démocratisation des nouvelles technologies, il devient de plus en plus facile pour le public d’y mettre la main et de s’en servir à des fins malveillantes.

C’est un débat qui n’est malheureusement pas encore assez connu et qui est souvent mis de côté par manque de connaissances et d’intérêt. Pourtant, personne n’est à l’abri d’une usurpation d’identité.

Pour la population générale, et notamment ceux qui ne comprennent pas bien l’intelligence artificielle, les «deepfakes» sont des portes d’entrée à la désinformation, un mal bien connu de notre époque. À l’ère des médias sociaux et des fake news, le vieil adage «ne croyez pas tout ce que vous voyez sur internet» prend tout son sens. Il faut savoir pratiquer le doute systématique et, surtout, faire preuve de discernement et de vigilance avec les données que l’on partage sur le web.