Des manifestants à une marche «Stop Climate Horror», le 31 octobre 2021, à Édimbourg, Royaume-Uni. (Getty Images)
Depuis deux semaines, à Glasgow comme partout au monde où on se préoccupe du climat, un chiffre occupe tous les esprits: ZÉRO.
En effet, le risque de plus en plus clair d’un dérèglement du climat mondial pousse enfin les nations à l’action. Et là-dessus, la science est sans appel: pour éviter le pire, il faut réduire puis, d’ici 2050, éliminer les émissions de gaz à effet de serre provenant de l’activité humaine.
Éliminer.
Zéro.
Le Québec se veut parti de ce mouvement moderne. Sans tambour ni trompette, Québec s’est doté l’an dernier d’une cible officielle: atteindre « net zéro » d’ici 2050. Le Canada a adopté le même objectif quelques mois plus tard.
Mais ça veut dire quoi au juste, net zéro, pour le Québec ?
Pour y arriver, quels changements s’imposent —aux citoyens, à nos transporteurs, à nos propriétaires d’immeubles, à nos industries, voire à nos producteurs et distributeurs d’énergie?
Si la carboneutralité créera des gagnants et des perdants, elle n’épargnera personne.
Le mois dernier, Québec a rendu publique une étude inédite (NRLR: réalisée par ma firme) qui, pour la première fois, répond à la question de manière détaillée. Si on est pour y arriver à moindre coût d’ici 2050, voici les grands changements qui nous attendent :
Les changements à faire
VOITURES — D’ici 2030, la grande majorité des voitures vendues au Québec devront être électriques; d’ici 2035, plus aucune voiture munie d’un moteur à combustion ne serait vendue. Québec a déjà annoncé son intention de légiférer en ce sens, et le fédéral devrait emboîter le pas dans les prochains mois.
Le hic : pour les urbains sans stationnement privé, l’infrastructure de recharge publique devra être au rendez-vous. Et les concessionnaires, dont le modèle d’affaires repose largement sur les réparations et la maintenance, risquent de faire les frais de véhicules qui ne comptent qu’une vingtaine de pièces mobiles, contre 2 000 pour une voiture à combustion ! Les propriétaires de stations d’essence devront également revoir leurs modèles d’affaires.
CAMIONS — La transformation sera un peu plus longue, mais les camions eux aussi devront passer à l’électricité. Contrairement aux voitures —qui seront tous munis de batteries— les camionneurs auront des choix à faire: les batteries risquent de gagner le gros lot pour le camionnage de courte et moyenne distance, mais pour les camions lourds et à longue distance, la compétition entre batteries et hydrogène s’annonce ardue.
Une troisième option (le caténaire hybride) pourrait créer la surprise si les gouvernements et l’industrie réussissent le tour d’une collaboration inusitée.
CHAUFFAGE DES BÂTIMENTS — La majorité des maisons et appartements du Québec chauffent déjà à l’électricité, mais pour les bâtiments commerciaux —pensons tours à bureaux, centres commerciaux et autres—, c’est le gaz naturel ou encore le mazout qui nous garde encore au chaud. Une situation qui est appelée à changer.
À court terme, certains bâtiments devront passer au « tout électrique » (la plupart avec des pompes à chaleur, particulièrement efficaces), alors que d’autres iraient vers la « biénergie », où l’électricité répond aux trois quarts des besoins et le gaz, l’autre quart (généralement lors des jours d’hiver les plus froids).
Cette dernière solution sera durable dans la mesure où Énergir réussit à convertir l’essentiel de son réseau au gaz naturel renouvelable (GNR, une forme de bioénergie). Le hic: le prix du GNR risque d’augmenter si d’autres secteurs —dont l’aviation et le transport maritime— convoitent sa matière première: les résidus de biomasse.
INDUSTRIES — Au Québec, nos plus grands émetteurs industriels produisent des métaux, du ciment, des pâtes et papiers et des produits chimiques. La chaleur de procédé, qui utilise beaucoup d’énergie fossile, devra passer rapidement à l’électricité ou à la biomasse.
Puis, il faudra choisir des procédés novateurs comme les anodes sans carbone (développés au Québec pour les alumineries), l’hydrogène, la biomasse dans l’industrie du fer, et les ajouts cimentaires alternatifs. Enfin, pour les secteurs qui n’auront pas réussi à se décarboner, la seule avenue qui reste —capter et séquestrer les émissions— sera essentielle, bien que coûteuse.
AVIONS, BATEAUX, TRAINS… — Qui pense transports pense souvent aux routes, mais le tiers de nos transports est ailleurs: dans les airs, sur les eaux, sur rail, ou encore dans les champs, les mines et autres sites industriels. La diversité de ce secteur nécessitera une diversité de solutions.
Dans les airs, les trajets les plus courts (pensons Montréal-Québec) carbureront peut-être à l’électricité, alors que d’autres (disons Montréal à Toronto, New York ou Miami) pourront passer à l’hydrogène. Mais pour visiter Vancouver, Paris ou Shanghai, ce sont les carburants d’aviation durables (notamment les biocarburants) qui s’imposeront.
Le hic: les sources de biomasse. Certaines sont tout à fait durables (pensons aux résidus d’huile de cuisson), alors que d’autres posent de graves risques pour les écosystèmes. «Sauvons le climat, rasons nos forêts» n’est pas très winner comme slogan. Le secteur devra montrer patte blanche en adoptant des règles d’approvisionnement claires et crédibles.
ÉNERGIE — Le Québec part avec une longueur d’avance, notre électricité étant déjà largement décarbonée. Mais pour y arriver, nous aurons besoin surtout de nouvelle électricité, principalement de sources éolienne et solaire, et ce, même si on réussit à réduire de beaucoup notre gaspillage. La bioénergie devra également faire un bond de géant.
Des défis de taille attendent autant Hydro-Québec (gérer et répondre à la pointe) qu’ Énergir (le modèle d’affaires). Pour les producteurs tiers, des occasions d’affaires sont au rendez-vous.
EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE — Dans tous les cas, un vaste chantier en efficacité énergétique —pour limiter les pertes thermiques de nos bâtiments, rendre nos usines plus productives et nos véhicules plus efficaces— sera essentiel pour minimiser les coûts d’ensemble. Sans cela, le défi risque d’être insurmontable.
Ces changements sont tous de nature technologique. Mais si on se fie exclusivement à la technologie, la facture sera ardue. Pour minimiser les coûts (et les conflits d’usage), il faudrait par ailleurs réduire nos excès.
À titre d’exemple, des choix censés en matière d’infrastructures et d’aménagement du territoire peuvent réduire le recours à l’auto solo et encourager les transports publics et actifs. Certaines mesures, politiquement difficiles, non seulement diminueront les coûts et les défis techniques, mais amélioreront au passage la santé des Québécois.
Des pas de géants
Depuis un an, le gouvernement du Québec a fait des pas de géant dans sa compréhension de l’opportunité économique que représente pour nous la lutte aux changements climatiques. En effet, le Québec a non seulement tout ce qu’il faut pour réussir la transition, mais des atouts majeurs que d’autres n’ont pas :
- Un réseau électrique déjà décarboné (Hydro-Québec)
- Des réservoirs énormes qui peuvent servir de batteries géantes
- Un vaste territoire capable de recevoir les nombreux parcs éoliens et solaires nécessaires pour électrifier de grands pans de notre économie
- Un territoire riche en minéraux (nickel, cobalt et lithium) critiques à la production de batteries
- Un savoir-faire et une main-d’œuvre qualifiée pour en assurer la transformation
- Une économie non dépendante des énergies fossiles
- Un consensus des classes politique et économique sur l’importance d’agir et, élément critique
- Des entrepreneurs et entreprises de classe mondiale (pensons aux Lion, AddÉnergie et Lithium Recycling, pour ne nommer que trois) prêtes à relever le défi
L’ampleur du défi n’est pas à sous-estimer. Car transformer tous nos bâtiments, tous nos transports et toutes nos industries ne se fera pas sans un effort colossal de toutes parts.
La course vers le net zéro est lancée.
Et tous sont appelés à avoir les deux mains sur le volant.