Nextdoor Canada: la vie de quartier pour se démarquer de Facebook
Alain McKenna|Publié le 26 septembre 2019L’homme naît bon, c’est la société qui le corrompt. Cette maxime, qu’on attribue à Jean-Jacques Rousseau mais qui aurait été articulée plus ou moins de la même façon par Jacques Cartier, deux siècles avant lui, demande un nouvel examen.
Ce que Cartier et Rousseau ont avancé bien avant la vie moderne, ça existe en version numérique en ce moment même : l’Homme est bon et noble, jusqu’au moment où on lui refile un clavier, un écran, et une identité numérique plus ou moins anonyme. N’est-ce pas?
La question se pose dans le contexte où Nextdoor, un réseau social à la Facebook misant sur les réseaux de proximité (tant le voisinage que le commerce) pour se distinguer de son rival californien, vient tout juste de débarquer au Canada, cette semaine. Le processus d’inscription au site prenant entre quelques minutes et quelques jours, selon que vous possédez un numéro de téléphone résidentiel associé à votre nom ainsi qu’à votre adresse postale, ça va prendre encore quelques semaines avant qu’on sache si l’opération sera couronnée de succès.
Ça prend du temps car Nextdoor veut s’assurer que ses utilisateurs sont de vraies personnes, vivant réellement à l’adresse précise où ils le prétendent. C’est la base même du modèle de ce site, qui fait des sous à partir de publicité ciblant les gens sur leur localisation, tout simplement. Le site dit compter quelque 248 000 quartiers dans le monde, dans lesquels vivent les dizaines de millions de gens qui recourent au site pour organiser des événements de quartier, pour trouver un produit ou un service, et ainsi de suite.
«La majorité des gens souhaitent avoir de bonnes relations avec leurs voisins. Or, on connaît rarement plus que nos voisins immédiats. Le site Nextdoor a été fondé avec la volonté d’élargir ce voisinage. On pense que le vivre-ensemble est important pour la vie de quartier. Nous nous présentons comme tel : une plateforme de voisinage, où on peut organiser des tournois, recherche des commerces à proximité et faire des ventes de garage», illustre Peter Samak, le directeur de la stratégie internationale de l’entreprise fondée à San Francisco en 2008.
Administrations publiques et agents immobiliers en tête
Le site assure n’utiliser que le nom, l’adresse et le numéro de téléphone de ses abonnés, et seulement à des fins d’identification. Il ne vend aucune des données qu’il possède à propos de ses utilisateurs à des tiers. Pour son arrivée au Canada, il affirme avoir fait affaires avec un conseiller juridique d’ici pour s’assurer de respecter les lois en vigueur en matière de données numériques (en gros, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques).
Les commerçants locaux sont invités à créer une page sur le site, puis à acheter de la visibilité auprès des gens vivant à proximité. «On le sait, les achats locaux sont bons pour la vie de quartier. Chaque achat local entraîne un réinvestissement d’une bonne partie de l’argent dépensé dans la région. On souhaite développer cette tendance. Quand le commerce local se porte bien, nous nous portons bien», assure M. Samak.
Au-delà des petits commerçants, Nextdoor a dans sa mire deux secteurs où il peut aussi générer des revenus : les administrations publiques peuvent utiliser le site pour leurs communications. C’est une formule déjà adoptée par la ville d’Edmonton, en Alberta, et par Mississauga, en Ontario. On verra si ça fera boule de neige ailleurs au pays. Les agents immobiliers aussi y voient un intérêt évident: afficher les propriétés vendues ou en vente dans le quartier, ça marche. Pas pour rien que nos boîtes aux lettres débordent de ces petits calepins avec la face d’un agent imprimée dessus… L’idée est la même sur les réseaux sociaux!
Le Canada jouera aussi un rôle important pour Nextdoor. En fait, sans doute que la réaction des internautes et des entreprises au Canada sera scrutée à la loupe, puisqu’en plus d’ouvrir un bureau à Toronto, l’entreprise va aussi installer son premier centre de développement à l’extérieur des États-Unis dans la Ville Reine. Au Québec, c’est une équipe de développeurs locaux qui a adapté le site pour qu’il s’affiche correctement en français. Le soutien technique est assuré par des gens d’ici, ajoute Peter Samak. «On a l’expérience du bilinguisme, via notre présence dans d’autres pays en Europe, et on veut être perçus comme une plateforme locale en français.»
Il y a une certaine logique, pour un site qui mise sur le voisinage, à ce que son développement à l’international passe par le pays voisin…
De Nextdoor à Rousseau, il n’y a qu’un pas…
Nextdoor, c’est donc tout nouveau au pays. Et, bien sûr, l’entreprise arrive avec une réputation à bâtir, et présente évidemment le bon côté des choses.
Sauf qu’au même moment, aux États-Unis, le site est aux prises avec le même problème que les autres réseaux sociaux : des utilisateurs font des publications injurieuses, voire violentes, et les querelles, même entre voisins virtuels, sont bien réelles et pas subtiles pour deux sous.
La solution? Nextdoor a introduit un outil qui analyse les publications et, quand il détecte une publication qui semble être sous la ceinture, en matière de décence et de bon goût, suggère à l’utilisateur d’y réfléchir quelques secondes de plus avant de cliquer sur «Envoyer».
«On veut laisser le temps aux gens d’y réfléchir. Ce qu’on a constaté, c’est que dans 25 pour cent des cas, les gens révisent leur publication et corrigent leur comportement de façon plus durable», affirme le porte-parole de Nextdoor au Canada. «On veut des gens passionnés, mais courtois.»
Des gens vivant dans le même quartier qui finissent par s’engueuler sur Internet, même s’ils se connaissent au point de savoir où se trouve leur maison? Ça remet en question certaines idées reçues sur le rôle que jouent l’anonymat et la technologie dans ce qu’on dépeint trop souvent comme un problème purement lié aux réseaux sociaux.
Peut-être que Rousseau et Cartier avaient tout faux, et que la vie en société, réelle comme virtuelle, ne corrompt pas, mais qu’elle souligne à grands traits les limites du civisme quand on laisse l’environnement dicter les règles.
Peut-être qu’une partie de la solution est, comme le suggère Nextdoor, d’inviter un peu tout le monde à réfléchir un peu plus avant de s’exprimer. Si l’arrivée de ce réseau social au Canada peut avoir cet impact sur le numérique, ce sera déjà ça de pris…
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