Notre chance, c'est que nous pouvons profiter d'être au point mort pour rebâtir à toute vitesse, sur des bases qui, elles, seront fiables et durables. Et ce, en nous inspirant, par exemple, de la «théorie du beigne». (Photo: Di_An_h pour Unsplash)
CHRONIQUE. Et maintenant ? Que faisons-nous ? Reprenons-nous notre petite vie comme si de rien n’était ? Refaisons-nous les mêmes erreurs qui nous ont menées droit à une catastrophe sans précédent, à un désastre à la fois sanitaire, social et économique ?
C’est clair, il faut que quelque chose change. Mais quoi ?
Prenons un peu de recul… Ces derniers temps, les coups de boutoir se sont multipliés contre notre mode d’existence hérité du XXe siècle : aujourd’hui, c’est une pandémie mortelle qui paralyse toute l’humanité ; hier, c’était des manifestations mondiales pour «sauver la planète» ; avant ça, des déferlements par milliers de réfugiés à l’assaut des pays «riches et pacifiés» ; juste avant, une vague de terrorisme en Occident nourrie par les inégalités ; avant encore, une décennie de récession économique déclenchée par une crise financière américaine, etc. De toute évidence, il est grand temps d’en tirer la leçon qui s’impose : notre modèle socioéconomique est sur le point de s’effondrer, plus aucune de ses bases ne tenant encore le coup.
Notre chance, c’est que nous pouvons profiter d’être au point mort pour rebâtir à toute vitesse, sur des bases qui, elles, seront fiables et durables. Et ce, en nous inspirant, par exemple, de la «théorie du beigne».
L’économiste britannique Kate Raworth a signé, en 2017, le livre Doughnut Economics : Seven Ways to Think Like a 21st-Century Economist, dans lequel elle présente un modèle tout simple pour mieux gérer une nation, une ville ou une organisation. Le concept tient en une image, celui d’un beigne :
- Vu de haut, un beigne est fait de deux cercles entre lesquels se trouve la pâte.
- Le cercle intérieur représente les besoins fondamentaux des êtres humains pour pouvoir «bien vivre» : eau potable, nourriture saine, logement décent, installations sanitaires, éducation, emploi, revenus, etc. Toute personne ne bénéficiant pas d’un ou de plusieurs de ces besoins se trouve «dans le trou de beigne».
- Le cercle extérieur représente les besoins fondamentaux de la planète : eaux douce et salée, air sain, zones sauvages, biodiversité, etc. Tout déséquilibre de l’un ou de plusieurs de ces besoins nuit à la santé de la planète et, par suite, à celle de ses occupants, ce qui, symboliquement, les propulse à l’extérieur du beigne.
- Le sweet spot se trouve dans la pâte, là où les besoins des êtres humains comme ceux de la planète sont satisfaits. Il s’agit de l’«espace sûr et juste de l’humanité», celui qui permet «une prospérité harmonieuse».
Qu’est-ce que ça signifie ? Qu’il nous faut rebâtir en visant soigneusement le sweet spot du beigne, c’est-à-dire en veillant à un gain global qui ne se fasse plus jamais au détriment d’autrui ou de quelque chose d’autre. Car «la notion de prospérité harmonieuse repose sur celle d’équilibre ; une notion que nous appliquons déjà à notre corps et que nous devons à présent appliquer à tout ce qui nous environne», explique Kate Raworth dans son livre.
Amsterdam la pionnière
Amsterdam a été en avril la toute première ville du monde à adopter officiellement la théorie du beigne. Désormais, sa seule priorité est la prospérité harmonieuse, et sa première initiative en ce sens concerne la crise du logement.
Quelque 20 % des locataires de la capitale des Pays-Bas sont incapables de couvrir leurs besoins de base après avoir payé leur loyer, et 88 % des 60 000 demandes de logement social ne peuvent être satisfaites, faute de telles habitations. La solution pourrait sembler simple : construire de nouveaux logements accessibles financièrement. Cependant, à Amsterdam, les matériaux sont massivement importés par le port, ce qui alourdit considérablement l’empreinte écologique de la Ville. «Grâce à l’approche du beigne, nous avons eu l’idée de lancer la construction d’un parc immobilier fait exclusivement de matériaux recyclés et durables», a expliqué Marieke van Doorninck, la mairesse adjointe, au quotidien The Guardian.
Amsterdam a fait appel aux lumières de Kate Raworth et à d’autres experts, comme Janine Benyus, la «mère» du biomimétisme, la science de l’imitation des processus mis en oeuvre par la nature, pour établir son plan de match. La Ville a ainsi découvert, entre autres, que ses habitants consommaient trop de poissons (consommation multipliée par deux depuis 1990, ce qui contribue à la surpêche) et trop de légumes cultivés à l’aide de fertilisants (l’agriculture locale émet 61 % des émissions néerlandaises d’azote). Devraient donc bientôt entrer en vigueur des réglementations municipales visant à remédier à tout cela. Idem dans d’autres domaines : santé, éducation, numérique, etc. «L’approche du beigne ne nous apporte pas de solutions toutes faites, mais nous permet de transformer la manière dont nous regardons les problèmes», a dit la mairesse adjointe, en soulignant que c’était exactement ce qu’il fallait aux Amstellodamois «pour sortir au mieux de la pandémie».
Voilà. Un changement s’impose à nous. Amsterdam fait figure de pionnière ; peut-être ferions-nous bien de nous en inspirer sans tarder. À Montréal. À Sorel-Tracy. À Sherbrooke. En fait, partout où l’on se dit que le temps est venu…
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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.
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