Un courtier inquiet à la fin d'une session (source photo: Getty)
ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Depuis la crise financière de 2008, les gouvernements ont adopté des lois et des réformes pour éviter une nouvelle catastrophe. Si des progrès importants ont été faits pour réduire le risque, le système financier est toujours vulnérable, alors qu’une nouvelle crise est inévitable, disent les spécialistes.
«Sommes-nous plus en sécurité que nous l’étions en 2008? La réponse courte est oui, mais nous ne le sommes pas assez», affirme Christine Lagarde, présidente du Fonds monétaire international (FMI), dans un essai publié dans le magazine américain Foreign Policy.
La patronne du FMI -une institution créée en 1945 pour garantir la stabilité financière après la Dépression des années 1930 et la Deuxième Guerre mondiale- souligne que plusieurs progrès ont été réalisés depuis l’effondrement de Lehman Brothers en septembre 2008 :
- Les banques disposent de réserves de capital plus importantes et de meilleure qualité.
- Les pays ont pris des mesures pour remédier aux risques systémiques posés par les institutions financières considérées comme trop grandes pour faire faillite (too big to fail, selon l’expression consacrée).
- Les autorités ont renforcé la réglementation et la supervision : plusieurs pays surveillent davantage la stabilité financière et effectuent régulièrement des tests de résistance afin de vérifier la santé des banques.
- Les régulateurs ont transféré une part substantielle des transactions sur les produits dérivés de gré à gré vers des systèmes de compensation centralisés plus sûrs, permettant de réduire le risque.
- Le FMI a amélioré sa capacité d’analyser et de suivre des sources de risque systémique comme l’endettement excessif des consommateurs ou des entreprises, et ce, en collaborant davantage avec les autorités nationales.
Malgré tout, les gouvernements n’en ont pas assez fait dans certains domaines, sans parler des nouveaux risques qui sont apparus.
La dette non financière atteint des niveaux records
Il y a d’abord la dette.
En 2017, la dette non financière dans le monde a atteint un record de 182 000 milliards de dollars américains, soit 224% du PIB mondial, selon le Fonds monétaire international.
Cela représente une hausse de près de 60% par rapport à 2007.
La situation est particulièrement inquiétante dans les pays émergents, selon Christine Lagarde.
«La dette publique a atteint des niveaux jamais vus depuis la crise de la dette des années 80. Et si les tendances récentes se maintiennent, de nombreux pays à faible revenu devront faire face à un fardeau de la dette insoutenable.»
Nous sommes confrontés à un autre risque majeur : malgré toutes les actions prises pour améliorer la nouvelle architecture financière mondiale, cette dernière n’a pas été fondamentalement testée, s’inquiète la patronne du FMI.
Comment réagirait par exemple le système financier advenant une hausse imprévue et soudaine des taux d’intérêt ou une chute vertigineuse du prix des actifs financiers ?
Il pourrait s’en suivre une sortie massive des capitaux des marchés émergents, comme ce fût le cas durant la crise asiatique de 1997-1998, qui s’était ensuite propagée à d’autres économies émergentes comme la Russie et le Brésil.
Signe inquiétant s’il en est un, des investisseurs ont déjà commencé à retirer un peu leurs billes des pays émergents en 2018 en raison de la force du dollar américain et des tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis.
Même si la probabilité est minime, le FMI a calculé qu’un resserrement brutal des conditions financières dans le monde pourrait provoquer une fuite des capitaux des économies émergentes totalisant 100 G$US (en excluant la Chine).
Un niveau qui correspondrait grosso modo aux sorties d’argent de ces pays durant la crise financière de 2008.
Le «shadow banking» inquiète de plus en plus
Le «shadow banking» -le financement non bancaire et non réglementé, fonctionnant en parallèle du système bancaire régulier- est une autre source de risque bien connue, un risque que les régulateurs semblent toutefois impuissants à mitiger.
Pourquoi le «shadow banking» représente-t-il un risque ? Parce qu’une partie de ce système est très vulnérable aux risques de crédit, de liquidité et de levier, selon la Banque de France.
«ll existe un potentiel non négligeable d’instabilité financière par la propagation au reste du système financier», souligne son gouverneur, François Villeroy de Galhau, en entretien au quotidien français La Tribune.
Le shadow banking est particulièrement inquiétant en Chine.
De nombreuses familles de la classe moyenne y ont perdu leurs économies à la suite du défaut de plusieurs prêteurs dans ce marché bancaire parallèle, révèle le quotidien britannique Financial Times.
Selon un rapport de l’agence de notation Moody’s publié en décembre, quelque 169 millions de Chinois, soit environ 12% de la population, ont investi dans des produits de gestion de patrimoine en ligne, soit une hausse de 66% par rapport à 2016.
Or, ces Chinois investissent essentiellement dans le «shadow banking».
Enfin, nous sommes confrontés à un autre risque majeur, mais de nature politique, fait remarquer le quotidien financier belge L’Écho.
L’incertitude Trump
Il s’agit de l’élection du président américain de Donald Trump.
En 2009, les pays du G20 avaient collaboré entre eux, sous l’impulsion du président américain Barack Obama et du premier ministre britannique Gordon Brown, pour limiter les impacts de la crise financière.
Par exemple, des accords de swaps en dollars américains entre la Réserve centrale américaine (Fed) et la Banque centrale européenne (BCE) avaient permis de dénouer une situation très critique, alors que les banques européennes très actives en dollars risquaient de manquer de billets verts, rappelle L’Écho.
Une telle opération de sauvetage pourrait-elle être possible aujourd’hui pour éviter le pire? Des spécialistes en doutent, dont le professeur Barry Eichengreen de l’Université de la Californie, en raison de l’unilatéralisme de l’administration Trump.
Déjà en 2008-2009, des membres du Congrès s’étaient offusqués de voir l’argent des contribuables américains transférer ainsi en Europe.
Imaginez aujourd’hui, à l’heure de «l’Amérique d’abord»…
Bien malin qui peut prévoir quand aura lieu la prochaine crise financière, et quelle en sera la cause.
L’épicentre sera-t-il le «shadow banking», une crise immobilière, un choc énergétique, la défaillance d’une banque ou une guerre dans la péninsule coréenne, par exemple?
Chose certaine, nous ferons face un jour ou l’autre à une nouvelle crise financière, disent les spécialistes.
L’onde de choc sera sans doute moins importante qu’en 2008-2009, bien qu’un effondrement du «shadow banking» en Chine aurait des répercussions d’une ampleur difficile à calculer sur l’économie chinoise et, par ricochet, sur l’économie mondiale.
Nous sommes certes en meilleure posture qu’il y a dix ans pour affronter la tempête, mais il reste encore beaucoup de travail à faire pour réduire les risques et l’onde de choc.
Reste à voir si nous aurons le temps de corriger le tir avant la prochaine crise.