Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine et l’imposition de sanctions économiques sans précédent contre la Russie de Vladimir Poutine, les articles nous annonçant la fin de la mondialisation se multiplient. (Photo: Getty Images)
ANALYSE GÉOPOLITIQUE. L’histoire serait un perpétuel recommencement, selon le fameux historien grec de l’Antiquité Thucydide. Un adage qui jette un éclairage intéressant sur le recul de la mondialisation auquel nous assistons, car il s’agit en fait d’un second repli de ce processus d’intégration de l’économie mondiale depuis un siècle.
La compréhension de cette dynamique est vitale pour les entreprises. D’une part, parce qu’elle permet de mettre les choses en perspective et d’envisager un renversement de tendance à terme. D’autre part, parce qu’elle permet de ne pas sombrer dans un pessimisme exagéré.
Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine et l’imposition de sanctions économiques sans précédent contre la Russie de Vladimir Poutine, les articles nous annonçant la fin de la mondialisation se multiplient.
Ce conflit bouleverse certes les chaînes d’approvisionnement, et ce, après deux ans de pandémie de COVID-19, laquelle a aussi chambardé les flux commerciaux, provoquant des délais, des pénuries, sans parler d’une poussée de l’inflation.
Plus nuancé, Larry Fink, PDG de BlackRock, l’une des plus importantes firmes d’investissement, souligne dans sa récente lettre annuelle aux actionnaires que « l’invasion russe de l’Ukraine a mis fin à la mondialisation que nous avons connue au cours des trois dernières décennies ».
À ses yeux, le fait d’avoir coupé en très grande partie la Russie des marchés financiers et de l’économie occidentale représente tout un changement de paradigme.
En effet, à la fin de la guerre froide (1945 à 1991), le système financier international avait accueilli l’ex-Union soviétique afin de donner à Moscou et aux entreprises russes un accès aux marchés et aux capitaux du monde entier.
La guerre en Ukraine accentue deux tendances
C’est effectivement un développement majeur, qui s’ajoute à deux tendances qui érodaient déjà la mondialisation depuis 20 ans, rappelle Adam Posen, président du Peterson Institute for International Economics, dans une analyse publiée dans « Foreign Affairs » (« The End of Globalization? What’s Russia’s War in Ukraine Means for the World Economy»).
La première est la montée du populisme et du nationalisme, qui a provoqué dans plusieurs pays l’érection de barrières au libre-échange, à l’investissement, à l’immigration et à la diffusion des idées.
La seconde tendance est la volonté de la Chine communiste de contester l’ordre international et le système de sécurité en Asie créés par les Américains après 1945, une attitude qui a incité l’Occident à adopter des sanctions économiques à l’égard de Beijing ces dernières années, notamment par le gouvernement de Trump.
« L’Invasion de l’Ukraine par la Russie et les sanctions qui en résultent vont maintenant aggraver cette érosion », affirme Adam Posen.
Or, ce n’est pas la première fois que la mondialisation se replie dans l’histoire.
Ce qu’on appelle la mondialisation des marchés et de l’économie a connu une première phase d’expansion au 19e siècle.
Issue de l’évolution technologique des transports et des communications, du commerce et de l’investissement et des migrations, cette première phase de s’est toutefois terminée abruptement avec la Première Guerre mondiale (1914-1918).
Ce premier repli de la mondialisation a duré une trentaine d’années, soit jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945).
Le traumatisme de la période 1914-1945
Vous pensez que vous vivons à une époque trouble et agitée? Regardons les traumatismes qu’a vécus le monde entre 1914 et 1945 :
- La Première Guerre mondiale
- L’effondrement de quatre empires en Europe (allemand, austro-hongrois, russe et ottoman)
- La révolution communiste en Russie en 1917
- La pandémie de grippe espagnole (1918-1922)
- La dépression économique des années 1930
- La Deuxième Guerre mondiale
On n’imagine pas à quel point la régression de la mondialisation a été spectaculaire entre 1914 et 1945, notamment en raison de l’explosion des tarifs douaniers et des barrières non tarifaires.
Des historiens de l’économie, comme Angus Maddison (1926-2010), ont démontré que les pays d’Europe occidentale n’ont retrouvé en fait que dans les années 1980 leur taux d’ouverture (les échanges commerciaux par rapport au produit national brut) d’avant 1914.
C’est la création du GATT (l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), en 1948, qui a permis de libérer graduellement le commerce international après la Deuxième Guerre mondiale.
En revanche, ce n’est que dans les années 1970 — avec la libéralisation financière, la généralisation du flottement des devises et la déréglementation — que la deuxième phase de la mondialisation a pris véritablement son envol.
La chute du communisme en Europe, au tournant des années 1990, puis l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (qui a succédé au GATT), en 2001, ont ensuite permis d’intégrer davantage l’économie mondiale.
C’est cette grande intégration qui recule aujourd’hui, avec la possibilité d’assister à la création de deux grands blocs économiques, l’un gravitant autour des États-Unis, l’autre autour de la Chine, estiment plusieurs analystes.
Un nouvel essor est possible
Les entreprises internationalisées ne doivent pas désespérer pour autant, même si ce repli complique leurs activités, et ce, de l’approvisionnement à la commercialisation, en passant par la production.
En effet, comme l’écrit si bien l’historien Régis Bénichi dans Histoire de la mondialisation (2e édition, 2006), «la mondialisation comporte de fortes alternances entre des phases d’ouverture et d’essor des échanges et des phases d’arrêt ou même de repli parfois très prononcé».
Nous sommes clairement dans une phase de repli prononcé, mais nous n’assistons pas à la fin de la mondialisation ; la nuance est importante.
Les organisations devront donc s’adapter pour évoluer dans ce nouvel environnement, mais surtout prendre leur mal en patience, car cette phase de recul pourrait être longue. Pour autant, une nouvelle phase d’ouverture et d’essor est fort possible dans un avenir prévisible.
D’autant plus que l’histoire serait un perpétuel recommencement.