Chez Jean Coutu, la différence des ventes moyennes par client et par année était de 86 % entre un client abonné à l’infolettre et un client qui ne l’était pas. (Photo: Romeo Mocafico)
PALMARÈS WOW. «Dis-moi ce que tu achètes, je te dirais ce qui pourrait t’intéresser à l’avenir.» Pour les professionnels de l’expérience client, les données sont un nouvel or noir qui permet de mener des stratégies commerciales de plus en plus personnalisées. En théorie du moins.
En pratique, la moitié des entreprises au Québec ne possède pas d’outil de gestion de la relation client – les fameux CRM -, estime Daniel Lafrenière, stratège en expérience client. «Difficile, dès lors, de commencer à parler d’expérience client si on n’a pas d’information à exploiter», regrette celui qui est également blogueur sur le sujet pour Les Affaires.
Même si on a accès à des données, encore faut-il réussir à les convertir en information intelligible et actionnable. «On peut vite se noyer dans la masse des données si on ne se fixe pas d’emblée des indicateurs à suivre», indiquait Lyne Martinoli, directrice du programme de loyauté pour le Québec chez Metro, lors d’une conférence sur le rendement de l’investissement (ROI) marketing organisée par Les Événements Les Affaires en janvier.
À la Société des alcools du Québec (SAQ), première du palmarès Wow cette année, la collecte des données s’effectue par exemple grâce à l’historique d’achat des 2,1 millions de détenteurs de sa carte de fidélité Inspire. Une source considérable : 72 % des ventes de la société d’État sont rattachées à un compte Inspire. Cette inestimable manne permet ainsi d’envoyer de l’information personnalisée en fonction des profils d’achat des clients ; 97 % des infolettres de la SAQ sont uniques. L’an dernier, 247 millions d’offres personnalisées ont ainsi été transmises aux membres.
Du côté de Jean Coutu, grâce à une stratégie de personnalisation des communications, la différence des ventes moyennes par client et par année était de 86 % entre un client abonné à l’infolettre et un client qui ne l’était pas, a expliqué sa directrice du programme de fidélité et des projets spéciaux Sara Thivierge, en octobre, lors de l’événement TAG – Le commerce à l’ère numérique. La pertinence fait donc vendre.
Un retour à la base
M. Lafrenière prône malgré tout un certain retour à la base pour les entreprises trop obnubilées par la technologie et les données. «Ne perdons pas de vue le plus important : le client. Quels sont ses valeurs, ses attentes, ses motifs d’incompréhension, ses croyances, ses perceptions, rappelle l’expert. J’ai l’impression que, parfois, on travaille sur des solutions technologiques sans connaître le problème. Comme si un médecin prescrivait des médicaments à un patient sans l’avoir ausculté au préalable.»
Illustration concrète : à l’arrivée des téléphones intelligents, tout le monde voulait une application. Aujourd’hui, la tendance est l’agent conversationnel. La SAQ mène par exemple une réflexion à ce sujet, tout en restant attentive aux commentaires de ses clients. «La vraie question, ce n’est pas de savoir si on va mettre un agent conversationnel en place, mais à quel besoin est-ce que cela répond, confirme Jacques Farcy, vice-président, Exploitation des réseaux de vente de la société d’État. Nos clients nous disent en effet que l’on devrait plus connecter nos employés que nos magasins. Autrement dit, qu’il faut donner les moyens technologiques à nos employés pour offrir un meilleur service et être plus performants, mais que le tout reste doit être fait par des humains.»
«La technologie est là pour appuyer l’expérience humaine, pas pour la remplacer. Nous restons avant tout des êtres relationnels, poursuit M. Lafrenière. Elle peut se remplacer pour des tâches répétitives et sans valeur ajoutée, mais elle ne doit pas nuire à la fluidité du parcours consommateur.» Ce dernier se rappelle ainsi avoir voulu acheter récemment en ligne un billet de spectacle… Sauf que le site lui demandait, en amont, de créer un compte et un mot de passe de huit caractères avec une majuscule, un chiffre et un caractère spécial. «C’est comme si j’entrais dans un commerce et qu’on me demandait de vérifier mon passeport !», peste-t-il.
Un investissement rentable ?
À en croire les experts du domaine, la clé provient donc d’une connaissance fine et en continu de ses clients, grâce à l’implication des employés sur le terrain ou aux sondages en ligne. Une technique adoptée par la SAQ qui permet à l’institution «de savoir très vite si on va dans la bonne direction ou pas», note M. Farcy.
L’ensemble de ces stratégies axées sur le client se révèle payant financièrement. «Des tonnes d’études montrent que plus un client est satisfait, plus cela va se répercuter sur la profitabilité de l’entreprise», rappelle Yany Grégoire, professeur de marketing à HEC Montréal et titulaire de la Chaire de commerce Omer DeSerres.
«Il ne faut pas oublier qu’il y a le coût de faire… et le coût de ne pas faire,» met en garde M. Lafrenière en faisant référence à l’exemple d’Uber. «Son premier angle d’attaque, c’était l’amélioration de l’expérience client, constate-t-il : elle a créé de la valeur et a vite gagné des parts de marché dans l’industrie du taxi grâce à cela.»