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Ottawa pige 19,4G$ dans les poches des ultrariches

Denis Lalonde|16 avril 2024

Ottawa pige 19,4G$ dans les poches des ultrariches

(Photo: 123RF)

BUDGET FÉDÉRAL 2024. Beaucoup de fiscalistes se demandaient comment le gouvernement fédéral allait réussir à garder le déficit sous la barre des 40 milliards de dollars (G$) pour son exercice 2024-2025. La réponse se trouve dans une mesure qui prévoit une hausse du taux d’inclusion des gains en capital pour les sociétés et fiducies et pour la tranche de 0,13% des plus riches au pays.

Selon les prévisions d’Ottawa, la mesure permettra au gouvernement fédéral de percevoir des montants supplémentaires de 8,81 milliards de dollars (G$) sur cinq ans d’impôts sur le revenu des particuliers, et de 10,55G$ en impôts sur le revenu des sociétés pour un total de 19,4G$.

«C’est un changement majeur dans la structure d’imposition qui s’applique autant aux particuliers qu’aux sociétés. Même si la mesure vise peu de contribuables annuellement, ceux qui se fiaient sur la vente de certains actifs pour financer leur retraite pourraient devoir revoir leurs plans. Toutefois, les mesures permettant aux contribuables de bénéficier d’une réserve sur leurs gains en capital lorsque le produit de la vente n’est pas totalement encaissé restent en vigueur», affirme Vincent Fortier, CPA et directeur principal en fiscalité chez Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT).

En ce moment, la moitié de tout gain en capital est imposable, ce que le gouvernement appelle le «taux d’inclusion». Or, dans son budget 2024, la vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland, propose de faire grimper le taux d’inclusion de tous les gains en capital de 50% à 66,66% pour les sociétés et les fiducies.

Pour les particuliers, la bonification du taux d’inclusion ciblerait la portion de tout gain en capital excédant 250 000$. Par exemple, un particulier à revenu élevé qui déclarerait un gain en capital de 300 000$ cette année devrait payer de l’impôt sur 150 000$, soit la moitié du montant déclaré.

Dès le 25 juin, la structure du gain en capital serait séparée en deux. Le même particulier devrait ainsi payer de l’impôt sur 50% des premiers 250 000$, soit 125 000$, et de 66,66% sur la tranche supérieure de 50 000$, soit 33 333$. Il se retrouverait ainsi à payer de l’impôt sur un montant de 158 333$.

Comme, au Québec, le taux d’imposition maximal fédéral-provincial est de 53,31%. Ce particulier verrait donc sa facture fiscale augmenter de 4 442$ sur la portion supplémentaire de 8 333$ (voir tableau) en présumant que le gouvernement Legault harmonisera son régime fiscal avec celui du fédéral.

 

Exemple de gain en capital pour un particulier

  Ancien Régime Changement proposé
Gain en capital  300 000$  300 000$
Taux d’inclusion – < 250 000 $  50%  50%
Taux d’inclusion – > 250 000 $  50%  66,66%
Revenu imposable  150 000$  158 333$
Taux d’imposition 53,31%   53,31%
Impôt  79 965$ 84 408$ 
Impôt supplémentaire   4 442$ 

Source: Vincent Fortier, RCGT

 

Le seuil de 250 000$ s’appliquerait après déduction des pertes en capital de l’année courante et à celles d’années antérieures appliquées à l’année courante. 

«Les Canadiennes et les Canadiens paient de l’impôt sur le revenu tiré de leur emploi. À l’heure actuelle, cependant, ils ne paient de l’impôt que sur 50 % des gains en capital, ce qui représente le bénéfice généralement réalisé lorsqu’un actif, comme des actions, est vendu. C’est l’avantage fiscal sur les gains en capital – et cet avantage est plus marqué au Canada que dans tout autre pays du G7», lit-on dans les documents budgétaires qui justifient l’adoption de cette mesure.

«Même si l’ensemble de la population peut bénéficier de l’avantage fiscal sur les gains en capital, les riches, qui, de manière générale, gagnent relativement plus de revenus des gains en capital, en tirent des avantages disproportionnés par rapport à la classe moyenne», ajoute le fédéral.

Les contribuables pourront toutefois continuer de bénéficier de certaines exemptions, comme lors d’un gain en capital tiré de la vente d’une résidence principale ou qui proviennent d’un REER, d’un FERR, d’un CELI, d’un CELIAPP ou d’un REEE.

«Les revenus provenant d’un régime de pension agréé, y compris les régimes de retraite de l’employeur, le Régime de pensions du Canada et le Régime de rentes du Québec, resteront exonérés d’impôt. Les gains en capital des particuliers issus de la vente de chalets, d’immeubles de placement ou de titres qui dépassent la limite des instruments d’épargne à l’abri de l’impôt, continueront de bénéficier du taux d’inclusion de 50%, jusqu’à un maximum de 250 000$», soutiennent les documents budgétaires.

 

 

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Un régime qui gonflera aussi les revenus des provinces

L’augmentation du taux d’inclusion des gains en capital devrait aussi, selon Ottawa, générer de nouveaux revenus importants pour les gouvernements provinciaux et territoriaux.

«Évidemment, il ne serait pas surprenant que le gouvernement du Québec harmonise son régime fiscal avec les mesures annoncées dans le budget fédéral», estime Vincent Fortier.

Le Québec est la seule province canadienne dont le régime fiscal n’est pas automatiquement harmonisé avec celui du gouvernement fédéral.

Selon l’expert de RCGT, on peut aussi s’attendre à ce que certains contribuables étalent l’encaissement des revenus à leur disposition sur plusieurs années pour diminuer les effets de ce changement.

 

Qui sera touché?

Ottawa estime que l’an prochain, 28,5 millions de personnes n’auront pas de revenu tiré de gains en capital, et que 3 millions de personnes toucheront des gains en capital en deçà du seuil annuel de 250 000$: «seulement 0,13% des personnes, dont le revenu moyen est de 1,4 million de dollars, devraient payer plus d’impôt sur le revenu des particuliers. Par conséquent, pour 99,87% des Canadiennes et des Canadiens, l’impôt sur le revenu des particuliers n’augmentera pas».

 

Canadiennes et Canadiens ayant des revenus tirés de gains en capital, projections de 2025

  Nombre de personnes

Proportion de l’ensemble

des personnes

Revenu brut moyen,

y compris les gains en capital

Gains en capital supérieurs à 250 000$ 40 000 0,13% 1 411 000$

Aucun gain en capital ou

gain en capital inférieur à 250 000$

31 531 000 99,87% 60 000$

Source: documents budgétaires


Dans le cas des entreprises canadiennes, seule une petite minorité sera touchée par ces changements: en 2022, seulement 12,6% des plus de deux millions de sociétés canadiennes avaient des gains en capital.