Où va l’argent qu’on investit? L’importance d’une réponse
Éliane Brisebois|Publié le 28 Décembre 2022Le Cadre mondial Kunming-Montréal adopté en conclusion de la COP 15 prévoit entre autres de cesser de subventionner les activités destructrices de l’environnement à hauteur d’au moins 500 milliards de dollars américains par an d’ici 2030 et de rediriger ces montants vers des projets qui visent la protection de la biodiversité. (Photo: 123RF)
BLOGUE INVITÉ. Il faut remettre en question les pratiques d’investissement des détenteurs institutionnels, comme les régimes de retraite. Que finance-t-on avec nos placements? Est-ce des compagnies minières, pétrolières ou d’armement?
L’enjeu se pose alors que la planète vit une véritable crise environnementale, comme l’a rappelé la tenue à Montréal de la 15e Conférence des parties sur la biodiversité (COP 15) à la fin de l’année 2022.
Alice Chipot, directrice générale du Regroupement pour la responsabilité sociale des entreprises, croit que la société civile doit gagner en connaissances sur les défis qui entourent les investissements. «Les conseillers financiers n’ont pas toujours les réponses, mais il faut continuer de les questionner sur ce que finance réellement l’argent qu’on investit.» Ces propos, elle les exprimait dans le cadre du panel «Financement pour la biodiversité» tenu en marge de la COP15.
Plusieurs chercheurs en économie et en sciences sociales travaillent à revoir les modèles d’investissement actuels. «Les “vrais” investissements déterminent de quoi aura l’air la société de demain: comment on produira, consommera, transformera les territoires, travaillera dans le futur», a souligné Éric Pineault, professeur à l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université du Québec à Montréal et membre de la Chaire de recherche sur la transition écologique, lors du colloque «Les solutions aux causes sous-jacentes de la perte de biodiversité». «Aujourd’hui déterminés par des intérêts privés, les investissements doivent être socialisés», a-t-il poursuivi.
Mathieu Dufour, économiste et professeur à l’Université du Québec en Outaouais, a pour sa part expliqué que «la planification des investissements doit se faire par le bas, par les communautés concernées, et non plus seulement par des entreprises, tout en tenant compte de l’interdépendance entre les échelles locale et internationale».
À la coordination des échelles territoriales s’ajoute aussi la prise en compte de l’échelle temporelle, qui devrait guider les investissements. Selon Clifford Atleo, professeur à l’Université Simon Fraser et membre des Premières Nations, «il faut planifier sur une échelle de 5000 ans. C’est abstrait, mais ça veut dire qu’il faut se baser sur une vision cyclique et non linéaire du temps.»
Réviser notre système économique pour le bien-être des écosystèmes
Transformer les modèles d’investissement s’inscrit dans une révision complète du système économique capitaliste basé sur l’extractivisme. «Il faut réduire la taille physique de notre économie», a plaidé l’économiste et professeur émérite de l’Université York, Peter Victor, en faisant notamment référence à la surexploitation constante de la nature qu’exige le système économique actuel. Plusieurs modèles ont été développés pour concevoir un monde «post-croissance», a-t-il souligné, comme ceux de la décroissance, de l’écosocialisme, de l’économie du beigne et de l’économie régénérative.
Pour sa part, il a mis à l’épreuve un modèle low growth (croissance faible) pour le Canada qui vise une réduction de son empreinte environnementale et de ses émissions de GES notamment par la mise en œuvre d’une transition énergétique, par l’augmentation des prix du carbone et par des investissements «verts».
Car, en plus de revoir quelles activités sont financées par nos investissements, il est aussi nécessaire d’investir pour protéger et restaurer la biodiversité sur la planète. Essentielle dans le contexte actuel, cette deuxième avenue ne permet toutefois pas d’éliminer les activités nuisibles pour l’environnement, selon Diego Creimer, directeur finance et biodiversité de la Société pour la nature et les parcs du Canada (SNAP), section Québec. Il cite en exemple les entreprises pétrolières ou minières qui investissent dans la protection des terres tout en continuant leurs activités polluantes. «La meilleure façon de financer la protection de la biodiversité, c’est d’arrêter d’investir dans sa destruction», a-t-il résumé. Il a également rappelé que dans le monde, ce sont au moins 500 milliards de dollars (G$) annuellement qui sont consacrés aux activités qui détruisent la nature, comme les industries d’exploitation des ressources naturelles.
Bonne nouvelle! Le Cadre mondial Kunming-Montréal adopté en conclusion de la COP 15 prévoit entre autres de cesser de subventionner les activités destructrices de l’environnement à hauteur d’au moins 500 milliards de dollars américains par an d’ici 2030 et de rediriger ces montants vers des projets qui visent la protection de la biodiversité. Le cadre prévoit également une aide financière des pays riches aux pays en développement d’au moins 100G$ par an pour les aider à protéger la nature sur leurs territoires.
Si ces intentions doivent se transformer en actions, il n’en demeure pas moins que cette conclusion de la COP 15 sur la biodiversité est une belle façon de finir l’année. Enfin, souhaitons pour 2023 que les discussions sur les enjeux entourant les investissements s’étendent à toutes les sphères de la société et sortent des forums fréquentés principalement par les «convaincus».