Elizabeth Gomery (Photo: Dany Dao et Andy Son)
BLOGUE INVITÉ. Elizabeth Gomery, co-fondatrice de la société de conseil philanthropique montréalaise Philanthropica, se souvient encore de la dernière crise importante que le monde de la philanthropie a connu avec une clarté éclatante. En 2008, Mme Gomery était en train de traverser l’une des meilleures années de sa carrière, faisant une collecte de fonds pour la Faculté des arts de l’Université McGill. Puis vint la crise financière et tout s’arrêta net.
Pourtant, Mme Gomery ne pense pas que le découragement total face à une crise comme le krach financier ou l’actuelle pandémie de COVID-19 soit justifié. Selon elle, ces périodes d’incertitude offrent au monde de la philanthropie l’occasion de réviser ses stratégies pour le mieux.
«Le monde ne va pas revenir à la normale, mais il va devoir continuer à tourner, dit Mme Gomery. Nous allons donc devoir trouver un moyen de continuer à avancer. »
Aux yeux de Mme Gomery, il est essentiel de définir et de communiquer clairement les objectifs d’une organisation pour trouver une nouvelle voie pour la philanthropie. Mme Gomery cite l’ACLU comme ayant été particulièrement efficace dans la démonstration de l’importance de ses services et de la manière dont l’argent des donateurs aidera l’organisation à défendre les droits de tous les Américains devant les tribunaux.
«C’est une question d’impact en ce moment, explique Mme Gomery. Quel impact avez-vous en tant qu’organisation? Quel impact l’argent de quelqu’un va-t-il avoir au sein de cette organisation? Si vous ne pouvez pas répondre à ces questions, la collecte de fonds va être difficile.»
Mme Gomery conseille également aux organisations philanthropiques d’être plus sélectives quant aux personnes qu’elles ciblent dans leurs efforts de collecte de fonds. Investir du temps et de l’énergie dans la recherche de donateurs et trouver quels aspects spécifiques de l’objectif d’une organisation leur correspondent est bien plus lucratif que de simplement acheter des listes et chercher de nouveaux donateurs qui n’ont pas encore donné à la cause.
Un aspect du domaine qui a clairement changé — et qui pourrait bien être sur le point de disparaître — est la collecte de fonds basée sur des événements. Selon Mme Gomery, ces collectes de fonds en personne ont été manifestement moins lucratives depuis bien avant la pandémie de COVID-19. La planification et l’exécution de ces événements exigent des efforts considérables et offrent un faible retour sur investissement compte tenu du potentiel des personnes fortunées qu’ils ont tendance à attirer. La pandémie a donné aux organisations qui envisageaient depuis longtemps de diversifier leurs efforts de collecte de fonds le coup de pouce dont elles avaient besoin.
L’abandon des galas de collecte de fonds traditionnels donne aux professionnels l’occasion de mieux se mettre en relation avec les donateurs. Les interactions virtuelles, bien qu’elles ne remplacent en aucun cas une conversation en personne, ont leurs avantages. Les technologies de vidéoconférence permettent aux collecteurs de fonds d’interagir avec les donateurs dans le confort de leur domicile et pendant leur temps libre. Les donateurs ne se sentent pas obligés d’engager une conversation. Ainsi, des donateurs qui auraient dépensé 10 000 dollars sur une table lors d’une collecte de fonds organisée dans le cadre d’un événement pourraient bien donner un million de dollars s’ils sont abordés de la bonne manière et pour la bonne cause.
«Lors d’une collecte de fonds, on bavarde, décrit-elle. Vous mangez un canapé. La musique est trop forte et trop vite, tout est fini. Aujourd’hui, vous pouvez avoir une vraie conversation avec les gens, ce qui est vraiment la base du travail que tout collecteur de fonds vise à faire.»
Mme Gomery suggère que l’alternative à ces collectes de fonds à grande échelle sera la « collecte d’amis, » des séances d’information qui permettront aux organisations de parler de leur cause et de leur impact, et, si tout se passe bien, de forger des liens qui se développeront avec le temps. En plus d’être une stratégie de développement plus viable à long terme, ce type d’événements présente un attrait particulier en pleine pandémie, puisque les donateurs sont à la recherche de causes à défendre et de quelque chose à faire avec leurs soirées.
Après avoir établi un premier contact, il est encore plus important de rester en communication avec les donateurs pendant la pandémie. Bien que certaines personnes ne soient pas en mesure de donner dans l’immédiat, elles se souviendront de la constance d’un collecteur de fonds.
«Cette période a été vraiment déstabilisante pour les gens, et si vous ne vous renseignez pas auprès des personnes avec lesquelles vous établissez des relations, vous ne pouvez pas espérer maintenir une relation avec elles sur le long terme, fait remarquer Mme Gomery.»
En combinant un discours bien conçu et une approche stratégique des donateurs, Mme Gomery estime que les efforts philanthropiques peuvent non seulement résister à la tempête de la pandémie, mais en ressortir plus forts qu’auparavant. Le ralentissement causé par la COVID-19, permet aux organismes philanthropiques de ralentir et de concevoir des stratégies sur mesure qui leur permettront de gagner plus de fonds dans la durée.
«C’est un processus à long terme que de découvrir ce qui motive les donateurs, de découvrir ce qui les excite, de monter un dossier, dit Mme Gomery. Mais si vous faites ces choses bien et avec intention, les fonds viendront pour votre organisation.»
Karl Moore et Marie Labrosse. Karl est professeur associé à la Faculté de gestion Desautels et Marie est étudiante en maîtrise de littérature anglaise, tous deux à l’Université McGill.