Paul Desmarais III: « Toutes les fintechs ont un impact social »
Denis Lalonde|Édition de la mi‑novembre 2020Paul Desmarais III est le PDG de Sagard Holdings, le président directeur et cofondateur de Portag3 Ventures, ainsi que le président et cofondateur de Diagram. Au sein des portefeuilles d’investissement de Portag3 Ventures et de Sagard Holdings, il est président du conseil d’administration (CA) de Wealthsimple et de Dialogue, et directeur de KOHO Financial et de Peak Achievement Athletics. Il est également vice-président principal de Power Corporation du Canada. Il siège aux CA de Personal Capital, Pargesa,
Q&R. L’industrie de la fintech peut-elle être citée comme une industrie à l’impact social important ? À en croire le PDG de Sagard Holdings, Paul Desmarais III, toutes les entreprises du secteur doivent, pour avoir du succès, avoir un impact social.
Les Affaires – Où se situe l’impact social dans le modèle d’affaires des fintechs ?
Paul Desmarais III – La base du numérique a des ramifications sociales importantes. Quand on lance des modèles numériques, il y a une augmentation de l’accès aux produits et aux services financiers pour la population. Le monde de la fintech favorise aussi la transparence sur les prix et sur les produits. Ces trois choses ont un impact social assez important.
L.A. – Quand on parle d’une entreprise qui a un impact social, on parle surtout d’économie locale, de zéro déchet, d’économie circulaire et d’implication dans la collectivité. Si je comprends bien, selon vous, le simple fait de donner accès à des services financiers doit être considéré comme ayant un impact social ?
P.D. – Ça a un impact social énorme. Les décisions que les gens prennent autour de leurs finances ont souvent des impacts majeurs sur leur vie et sur la pérennité de leur famille.
Si on regarde l’épargne pour l’éducation par le Régime enregistré d’épargne-études (REEE), c’est un produit qui, historiquement, est sous-pénétré dans les familles au Canada. C’est pourtant l’un des programmes les plus avantageux que le gouvernement a mis au point pour l’épargne. Le problème, c’est que les conseillers financiers ne sont pas bien rémunérés en donnant des conseils sur les REEE, alors la plupart du temps, ils ne le font pas. Tandis qu’une plateforme comme WealthSimple y donne accès.
On pourrait aussi parler de Nesto, une autre entreprise qui fait partie de notre portefeuille, dont la mission est d’offrir le prêt hypothécaire le plus avantageux sur le marché à ses clients. Quand on pense aux montants que les gens dépensent dans une hypothèque, d’utiliser une plateforme qui va toujours essayer de vous trouver celle qui est la plus abordable, ça a une vraie valeur sociale.
L.A. – On estime que 2,5 milliards de personnes dans le monde n’ont pas de compte en banque et que 1,5 milliard de personnes n’ont pas de passeport ou de pièce d’identité. Est-ce un bon point de départ lorsque les fintechs canadiennes veulent identifier leur clientèle cible ?
P.D. – Les services financiers ont tendance à être plus locaux. Les fintechs canadiennes sont mieux servies en concentrant leur énergie à combler des besoins canadiens. Parce que la réalité, c’est que les besoins des Canadiens et les besoins de citoyens dans les pays émergents sont souvent assez différents.
La réalité, c’est aussi que la capitalisation boursière des grandes banques canadiennes est de plus de 350 milliards de dollars (G $). Le marché des services financiers au pays est beaucoup plus grand. Dans ce contexte, pas besoin de se distraire en allant dans d’autres marchés fondamentalement très différents.
Les produits d’épargne sont très différents dans chaque pays. Il faut presque lancer une nouvelle entreprise chaque fois qu’on veut entrer dans un nouveau pays.
L.A. – Vous avez parlé de la capitalisation des banques, mais quelle est la taille du marché des services financiers au pays ?
P.D. – Juste l’épargne, ça représente 4 000 G $ au Canada. C’est immense. Dans le monde de la fintech, l’objectif est de créer des entreprises dont la valorisation peut dépasser le milliard de dollars, ce qu’on appelle des licornes. En fait, si on prend la taille des services financiers au Canada, une fintech n’a pas besoin d’obtenir une grande part de marché pour y parvenir.
L.A. – Chez Sagard, vous gérez un portefeuille d’environ 4 G $. Comment choisissez-vous les entreprises que vous parrainez ?
P.D. – Toute fintech a un impact social positif, mais nous investissons dans les entreprises qui ont cerné un problème bien précis et qui travaillent à le résoudre. Par exemple, Wealthsimple veut faciliter l’ouverture d’un compte d’épargne au Canada.
Je pourrais aussi vous parler de Novisto, qui conçoit un progiciel de gestion intégré qui mesure les données ESG (environnementales, sociales et de gouvernance). Beaucoup d’entreprises dépensaient des fortunes à essayer de mesurer leurs métriques ESG. Nous avons constaté qu’il y avait une réelle occasion de marché pour une plateforme numérique qui aiderait les entreprises dans ce domaine.
L.A. – Comment les fintechs arrivent-elles à mieux performer que les grandes banques qui ont déjà une portée immense au pays, du point de vue de l’impact social ?
P.D. – Prix plus bas, facilité d’accès, et souvent, des marques et des produits plus alignés avec les besoins des consommateurs.
Les banques ont des systèmes informatiques lourds et peu flexibles et ont des produits qui sont assez coûteux. Ce que je dis souvent, c’est que si tu conçois un produit pour tout le monde, tu as probablement conçu un produit qui n’intéressera personne. Dans le monde d’aujourd’hui, il peut y avoir de plus en plus de segmentation des consommateurs, et beaucoup de start-ups sont plus agiles et mieux structurées pour servir des consommateurs de segments très précis.