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Pénurie de releveurs, vraiment?

Valérie Lesage|Publié le 01 juillet 2021

Pénurie de releveurs, vraiment?

La pénurie annoncée de releveurs d’entreprises semble surestimée. (Photo: Christian Langballe pour Unsplash)

BLOGUE INVITÉ. Essayer de lire le futur est toujours un peu hasardeux. On a beau s’appuyer sur des chiffres et de savantes analyses pour prédire l’avenir, la réalité qui se dessine des années plus tard est souvent loin de ce qui a été anticipé. Le cas de la pénurie annoncée de releveurs d’entreprises est un bel exemple.

Pendant des années, on a répété sur toutes les tribunes que le Québec allait perdre de sa vitalité économique en raison d’un manque de relève, alors que les entrepreneurs du baby-boom partiraient à la retraite. Quinze ans plus tard, la catastrophe annoncée est-elle en train d’arriver?

À (re)lire: Gros plan sur le repreneuriat

D’abord, petit retour en arrière. En 2005, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) avait mené un sondage auprès de ses membres. Les résultats de ce sondage laissaient entrevoir que 71% des propriétaires de PME au Canada prévoyaient se retirer des affaires dans moins de dix ans, bien que deux propriétaires sur trois n’avaient aucun plan de relève.

En 2010, la Fondation de l’entrepreneurship (FE), s’appuyant aussi sur les résultats d’un sondage, avait prédit que le Québec ferait face à un déficit de 149 000 releveurs dans les années subséquentes! En 2019, la FE chiffrait à 10 000 le nombre d’entreprises à reprendre d’ici 2020. Et quand elle anticipait les années à venir, elle entrevoyait alors un déficit de 38 000 propriétaires d’entreprises.

Les dernières données de l’Enquête canadienne sur la situation des entreprises, réalisée au début de l’automne pandémique par Statistique Canada, suggèrent une accélération du simple au double des intentions de transferts d’entreprises en 2021. Sur cette base, le Centre de transfert d’entreprises du Québec (CTEQ) chiffre à 15 000 le nombre d’entreprises se déclarant prêtes à être cédées au cours de l’année.

Entre les intentions et leur concrétisation, il peut y avoir un gros écart. Impossible pour l’heure de chiffrer. Mais un petit coup de sonde sur le terrain, même s’il n’est pas scientifique, ne laisse pas encore voir une pénurie de releveurs. Depuis 25 ans qu’il œuvre dans le secteur transactionnel, Marc-Vincent Bobée, associé chez GB2C, fait le même constat : le marché appartient aux vendeurs. En d’autres mots, il y a plus de releveurs potentiels qui cherchent à acheter une entreprise que de vendeurs qui transfèrent la propriété de leur entreprise. Du moins, dit-il, c’est le cas pour les entreprises en bonne santé financière. Les autres peuvent décider de mettre la clé dans la porte, tout simplement.

D’ailleurs, le nombre d’entreprises en exploitation a chuté de 8 % de mars à juillet 2020, nous apprend le CTEQ dans un récent mémoire, où il s’inquiète toujours d’une pénurie de releveurs et d’un effet négatif sur l’économie.

 

Surestimation

Il reste que le marché, du point de vue de ceux qui vendent des entreprises, ne semble pas en train de changer du tout au tout. Si la vague de fond appréhendée à partir de 2005 ne se manifeste pas, c’est en partie parce que les premières statistiques ont surestimé le nombre de repreneurs nécessaires. D’abord en prenant en compte des entreprises appartenant à des travailleurs autonomes, qui n’ont pas à trouver de releveurs. Et ensuite, en laissant de côté l’idée qu’un même repreneur peut acquérir plusieurs entreprises dans une volonté de consolider le marché. Aussi, le taux de transferts familiaux est plus élevé au Québec qu’ailleurs au pays.

Enfin, il y a aussi que l’heure de la retraite ne sonne pas forcément à 65 ans pour un entrepreneur passionné, qui peut désirer rester actif plus longtemps.

Maintenant, est-ce que la pandémie de COVID-19, qui a généré son lot de grands défis et de fatigue chez les entrepreneurs, déclenchera la vague? Marc-Vincent Bobée remarque que la fatigue constitue justement l’élément déclencheur pour prendre la décision de vendre son entreprise. De son côté, la BDC a observé qu’en 2020, des transactions ont été annulées ou repoussées, mais souligne qu’on ignore encore l’effet global de la pandémie sur la vente d’entreprises. Et elle considère que le marché est propice à des acquisitions stratégiques.

Ce sera intéressant de surveiller ce qui se passera. Mais de là à craindre une pénurie de releveurs? La pénurie de main-d’œuvre s’annonce comme une préoccupation beaucoup plus aiguë et comme le vrai frein à la croissance économique. Mais si vous vous apprêtez à passer le relais, planifiez votre sortie, car vendre ou transférer son entreprise est une longue aventure et vous ne changerez pas de vie immédiatement après la conclusion de la vente, puisqu’une période de transition est souvent exigée des financiers.