Peser le pour et le contre avant de créer sa fondation parallèle
Simon Lord|Publié le 20 novembre 2019Compter sur une fondation permet à un organisme de placer sur son propre CA des membres possédant une expertise liée à sa mission, et sur le CA de la fondation, des experts en financement ou en collecte de fonds. (Photo: 123RF)
PHILANTHROPIE. Dans la foulée de la Journée nationale de la philanthropie, le 15 novembre, Les Affaires se penche sur la tendance des organismes à but non lucratif à se doter d’une fondation parallèle, dont le mandat est de solliciter des donateurs potentiels pour la cause défendue, et ainsi assurer la pérennité des actions.
Plusieurs organismes communautaires ou à but non lucratif (OBNL) se dotent d’une fondation parallèle, dont le mandat est de solliciter des donateurs potentiels. Une stratégie qui présente des avantages certains, mais aussi des inconvénients et des défis bien particuliers.
Des avantages indéniables
Pour certains organismes, l’avantage premier d’une telle fondation est simplement de pouvoir augmenter leur financement par l’obtention de dons qui seront déductibles d’impôt pour le donateur. «Tous les OBNL ne sont pas éligibles à délivrer des reçus pour fins d’impôt», rappelle Johanne Turbide, cofondatrice du Pôle Ideos à HEC Montréal et coauteure, avec Verónica Zúñiga-Salas, du Guide sur les fondations parallèles publié en décembre 2017 par le Pôle Ideos.
Pour y avoir droit, l’OBNL doit être reconnu par l’Agence du revenu du Canada comme un organisme de bienfaisance, ce pour quoi il doit faire une demande d’enregistrement officielle. S’il ne répond pas aux critères, mais sa fondation oui, celle-ci pourra solliciter davantage de donateurs attirés par la déduction fiscale.
La création d’une fondation parallèle permet également de compter sur deux conseils d’administration différents auxquels siègent des membres plus spécialisés, explique Mme Turbide. Concrètement, compter sur une fondation permet à un organisme de placer sur son propre CA des membres possédant une expertise liée à sa mission, et sur le CA de la fondation, des experts en financement ou en collecte de fonds.
La création d’une fondation répond aussi à un besoin des OBNL de pouvoir mieux gérer les fonds qu’ils récoltent. Les OBNL sont en effet tenus par la Loi sur les compagnies de destiner la majorité de leurs revenus à la réalisation de leurs activités. Un obstacle considérable si l’organisme veut assurer sa pérennité. Ainsi, les fondations peuvent consacrer un pourcentage plus important de leurs revenus annuels à un fond réservé à la survie de l’organisme que l’OBNL ne le pourrait lui-même, lequel réduit les risques de ralentissement ou même d’arrêt définitif des activités de l’organisme en raison d’un manque de ressources financières. Créer une fondation parallèle permet donc à l’organisme de se doter d’un capital plus important réservé à la continuité à long terme de ses activités.
Sans compter que la création d’une fondation permet à l’OBNL une plus grande flexibilité dans la gestion de son capital financier, considérant que les organismes se voient parfois imposer certaines restrictions par les bailleurs de fonds publics en ce qui a trait à la gestion de leurs placements. Ils peuvent ainsi être contraints d’investir leurs fonds dans des produits à faible risque. Et qui dit faible risque dit souvent faible rendement. Les fondations, ayant généralement moins de telles contraintes, peuvent ainsi générer un rendement plus élevé et soutenu.
Se parer aux inconvénients
Malgré tous ces avantages, la création d’une fondation parallèle comporte aussi des inconvénients. On a souvent les défauts de nos qualités. «Avoir deux conseils d’administration plutôt qu’un seul signifie par exemple de devoir recruter deux fois plus de personnes, souligne la professeure Turbide. Trouver des bénévoles disponibles et qualifiés pour un seul CA étant déjà difficile, devoir en dénicher le double peut devenir encore plus ardu.» C’est pourquoi ce genre de stratégie se révèle, selon elle, souvent plus intéressant pour les plus grands organismes, qui comptent sur plus de ressources.
Danielle Poulin, la fondatrice de Caméo Consultation, une firme d’experts-conseils en gestion philanthropique, estime par ailleurs que la création d’une fondation délègue une fonction hautement stratégique – le financement – à un groupe de personnes qui est moins mobilisateur que l’équipe de l’organisme, parce qu’il n’a pas les mains dans le pourquoi.
«La mission de la fondation est de se préoccuper uniquement du comment, explique Mme Poulin. Le pourquoi – le projet de transformation du monde, la cause – va toujours rester dans les mains de l’organisme.»
Or, selon Mme Poulin, les gens qui donnent leur argent à une cause veulent aujourd’hui plus que jamais avoir l’impression de contribuer au projet. Autrement dit, ils veulent non pas «faire un chèque», mais bien toucher directement à la mission et contribuer à la réflexion.
«Donc, quand le donateur rencontre quelqu’un dont le travail n’est pas de changer le monde, mais de ramasser de l’argent, ça ne marche pas, remarque Mme Poulin. Il y a plein d’organismes à Montréal, de grands bailleurs de fonds, qui ne veulent plus rencontrer de directeurs des dons majeurs [de fondations].»
C’est sans parler du risque que la fondation parallèle – justement parce qu’elle peut être responsable uniquement du financement – décide de se mêler de la mission de l’organisme, créant ainsi la discorde entre les deux entités. Un pensez-y-bien.