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Petits déchets deviendront grands

Jean-François Venne|Édition de la mi‑novembre 2023

Petits déchets deviendront grands

En juin 2022, Recyc-Québec évaluait que la transformation générait 1,4 million de tonnes de résidus alimentaires annuellement, ce qui correspond à 45 % de l’ensemble des résidus produits au Québec. (Photo: 123RF)

TRANSFORMATION ALIMENTAIRE. L’industrie de la transformation alimentaire doit trouver des manières de garder dans la chaîne de la nourriture humaine des résidus qui actuellement finissent en nourriture animale ou en compost. Cet effort demande de l’imagination et du soutien financier.

L’analyse des pertes dans la transformation alimentaire demande à avoir beaucoup de nuances. En juin 2022, Recyc-Québec évaluait que la transformation générait 1,4 million de tonnes de résidus alimentaires annuellement, ce qui correspond à 45 % de l’ensemble des résidus produits au Québec. Cette quantité chutait à 213 946 tonnes une fois enlevées les parties non comestibles, comme les pelures de fruits et légumes, les os, etc., soit 18 % du total. 

« En fait, 99 % de la matière organique des transformateurs trouve un débouché, donc il n’y a pas vraiment de perte », assure pourtant Annick Van Campenhout, vice-présidente au progrès en alimentation et au développement durable au Conseil de la transformation alimentaire du Québec. 

Cette apparente contradiction n’en est pas vraiment une. Recyc-Québec calcule comme résidu toute la matière organique des transformateurs qui n’est pas utilisée dans la nourriture humaine. Cependant, la quasi-totalité de cette matière est valorisée dans d’autres secteurs, en grande partie dans la nourriture animale. 

Pour Recyc-Québec, il s’agit quand même de gaspillage alimentaire puisque initialement, la nourriture a été produite pour la consommation humaine. Cela correspond à sa pratique qui hiérarchise les interventions de lutte contre le gaspillage : réduire à la source, réemployer dans la nourriture humaine, réutiliser dans la nourriture animale, revaloriser dans des produits non alimentaires et enfin recycler. 

L’industrie de la transformation alimentaire est l’une des plus avancées dans le recyclage de ses résidus, grâce au compostage. « Dans notre plus récent bilan de gestion des matières organiques, nous avons d’ailleurs retiré l’industrie agroalimentaire des statistiques sur le recyclage, car elle faussait le portrait global », note le directeur aux opérations, Francis Vermette. Le taux de recyclage de la matière organique est de 100 % dans la transformation alimentaire, contre 8 % pour l’ensemble des entreprises. 

Reste que pour Recyc-Québec, composter ses résidus alimentaires demeure une forme de gaspillage, puisque à la base, ces aliments devaient nourrir des humains.

 

Des voies de valorisation 

Le constat reste donc que l’industrie n’envoie pas beaucoup de matière dans les sites d’enfouissement, mais pourrait en faire davantage pour réemployer ses résidus dans l’alimentation humaine. Elle y travaille.

Des initiatives surgissent pour réutiliser des résidus ou des aliments qui auraient été perdus. La coopérative montréalaise Boomerang a par exemple obtenu des financements de RecycQuébec pour traiter des sous-produits, comme les drêches de maïs, le marc de café ou le pain rassis et les réintroduire dans l’alimentation humaine, ainsi que pour transformer la drêche de bière en farine. 

Pro-bio, une entreprise de Saint-Léonard d’Aston, a aussi reçu des subventions pour développer une méthode de transformation de patates douces biologiques déclassées en produit congelé qui pourra être vendu aux services alimentaires institutionnels. Pépinière Boucher, de Saint-Ambroise, jouit quant à elle d’un soutien pour transformer l’ail déclassé de sa production et d’autres producteurs en ail haché ou en purée.

« On peut trouver des occasions d’affaires dans cette forme de valorisation des résidus alimentaires, mais on doit comprendre que ce sont des recherches qui coûtent très cher aux entreprises », note Annick Van Campenhout.

 

De gros défis à surmonter

En 2021, le Créneau d’excellence Aliments Santé de la Capitale-Nationale a lancé un programme de valorisation des résidus alimentaires. « La première phase, qui s’est terminée en mars 2022, visait à cartographier les résidus disponibles sur le territoire et à imaginer des voies de valorisation, notamment à l’aide d’études de faisabilité technico-économiques », explique la directrice générale, Annie Champagne.

Le projet était soutenu financièrement par Fondaction et par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation et se faisait en collaboration avec l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels. On retrouvait 11 transformateurs dans cette phase, dont Bonduelle, Citadelle et Maison Orphée. « Tous se montraient très enthousiastes, mais l’analyse technico-économique a révélé beaucoup de défis », admet la directrice générale. 

Les coûts d’achat d’équipement et d’entreposage pour les projets explorés sont très élevés et l’éparpillement des entreprises sur le territoire complique aussi la cueillette des résidus. Enfin, la rareté de la main-d’œuvre freine également ce type de projets. 

Ce constat a modifié la phase 2, qui devait au départ générer des maillages entre entreprises afin qu’elles créent ensemble un nouveau produit. « Nous avons pour l’instant opté pour une formule d’accompagnement des entreprises qui souhaitent continuer d’aller de l’avant, tout en planchant sur une phase 3 dans laquelle nous irons plus loin dans les maillages », souligne Annie Champagne.