La mention du mot « récession » a augmenté de façon significative dans les presses généralistes canadienne, américaine et française au cours des 12 derniers mois. (Photo: Getty Images)
Vous trouvez qu’on entend souvent parler de récession? Ce n’est pas qu’une impression. Le nombre de fois que ce mot a été mentionné par les médias a littéralement explosé en 2019, selon une recension faite par Les Affaires. Le simple fait de parler d’une récession peut-il faire en sorte qu’elle se matérialise ? C’est une possibilité, répond Stephen Gordon, spécialiste de macroéconomie et d’économétrie appliquée au département d’économie de l’Université Laval. «L’idée des attentes autoréalisatrices est un phénomène réel, explique-t-il en entrevue. Si on s’attend à quelque chose, elle finira par se produire.»
Pour sa part, Philip Merrigan, professeur de sciences économiques à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM (ESG), n’y croit pas vraiment. «Je pense que c’est mineur, en comparaison à des indices réels. On regarde plutôt des indicateurs sur l’économie réelle. D’une certaine façon, les preneurs de décision sont les plus importants en ce qui concerne la récession et ils ont un regard assez objectif sur la situation, donc j’ai peu de foi en ces explications. Il n’y a pas assez de preuves que l’impact est important.»
D’un point purement statistique, la mention du mot «récession» a augmenté de façon significative dans les presses généralistes canadienne, américaine et française au cours des 12 derniers mois (du 1er septembre 2018 au 31 août 2019). À partir de la base de données médiatiques Eureka, nous avons recensé le nombre de textes qui contient le mot récession dans le New York Times, le Washington Post, Le Monde, Le Figaro, le Globe and Mail, La Presse+ et Le Devoir. Le nombre de mentions a été 35 % plus élevé par rapport à l’an dernier. Les Affaires n’a pas échappé à la tendance. Le mot a été écrit 78 % plus souvent dans notre journal papier et notre site web, pour un total de 281 fois.
Si les médias y font davantage allusion, l’état actuel de l’économie mondiale ne confirme pas que nous nous dirigeons nécessairement vers une contraction de l’économie. On en parle beaucoup, mais ça ne semble pas se répercuter sur les marchés, explique Marc L’Écuyer, gestionnaire de portefeuille chez Cote 100. «Si on regarde la performance du marché boursier depuis le début de l’année, il est en hausse. Peut-être que ça a un effet sur des investisseurs autonomes, mais je ne pense pas que les institutions réagissent tant que ça aux médias. Oui, on parle de récession parce qu’il y a un ralentissement de l’économie, mais je ne suis pas certain que le fait que les médias en parlent plus ait de l’effet sur le marché.»
François Rochon, de Giverny Capital, abonde dans le même sens. «C’est un facteur parmi bien d’autres. Est-ce que c’est suffisant pour faire pencher la balance ? Je ne pense pas.»
Quant aux conditions économiques, Mathieu d’Anjou, économiste en chef adjoint chez Desjardins, reste optimiste pour les États-Unis, qui a une influence sur plusieurs autres pays. «Le consommateur américain nous rassure beaucoup, souligne-t-il. C’est une des raisons pour lesquelles notre risque de récession n’est pas très élevé à court terme. À moins d’un choc supplémentaire, comme un début de perte d’emplois, on s’attend à ce que la consommation continue de croître aux États-Unis au cours des prochains trimestres.»
L’importance de la communication
Plusieurs experts défendent toutefois la théorie selon laquelle une mauvaise communication peut être à l’origine d’une récession. L’exemple des communications récentes de la Réserve fédérale américaine (Fed) est souvent utilisé pour démontrer cet effet. Si une banque centrale communique mal ses intentions, cela peut causer beaucoup de dommages.
«Ça, c’est un gros risque, en effet, juge M. Gordon. Les annonces des banques centrales sont très importantes. Souvent, ce qu’on anticipe par rapport à ce qu’elles feront est plus important que ce qu’elles font réellement. Si elles modifient le taux directeur aujourd’hui, c’est moins important que l’attente d’un changement de taux en octobre, par exemple. Les banques centrales travaillent fort pour faire en sorte que les bonnes attentes soient établies sur les marchés. Ils ne peuvent faire aucune promesse ferme, puisque les conjonctures varient.»