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Peut-on encore parler de «secteur d’activité»?

Karl Moore|Publié le 30 mars 2022

Peut-on encore parler de «secteur d’activité»?

«L’idée même de secteur d’activité est aujourd’hui dangereusement trompeuse», soutient Kamal Munir, vice-chancelier adjoint de l’Université de Cambridge.

BLOGUE INVITÉ. Jamais la capacité d’adaptation n’aura-t-elle été aussi sollicitée que depuis les changements fulgurants et constants qu’impose le numérique. Selon Kamal Munir, vice-chancelier adjoint de l’Université de Cambridge, l’évolution incessante de la technologie change la donne pour les entreprises et pose de nouveaux défis aux dirigeants, peu importe leur secteur d’activité dans lequel ils évoluent.

«L’idée même de secteur d’activité est aujourd’hui dangereusement trompeuse, affirme celui qui a enseigné pendant quatre ans à l’Université McGill. Les menaces auxquelles les entreprises sont confrontées ne proviennent pas de leur secteur d’activité.»

En effet, il est de plus en plus difficile de déterminer à quel secteur appartiennent des géants de la technologie comme Apple, Amazon et Google, car ils offrent une panoplie de services relevant de multiples secteurs, et redéfinissent dès lors la notion de concurrence sectorielle.

À titre d’exemple, les produits Apple ne se limitent pas aux téléphones intelligents, aux ordinateurs et aux montres, mais englobent également les services de diffusion en continu d’Apple Music et d’Apple TV+.

«Les secteurs d’activité se dissolvent rapidement dans des écosystèmes beaucoup plus vastes, explique le professeur de stratégie et de politiques à la Judge Business School de l’Université de Cambridge. Vos concurrents ne sont pas uniquement ceux qui ont les mêmes capacités, proposent le même service ou fabriquent le même produit que vous. Ils peuvent avoir un ensemble de compétences complètement différent du vôtre ou fonctionner dans un cadre tout autre. La tâche est donc délicate pour le PDG, parce que la concurrence est asymétrique.»

Une nouvelle ère de collaboration s’ouvre donc. Autrefois en concurrence les unes avec les autres, les entreprises pourraient devoir se tourner davantage vers le partenariat pour durer.

«Les PDG doivent comprendre que nous passons de la mise en avant du produit à la plateformisation du produit», fait observer Kamal Munir.

Apple est un bon exemple de cette transition. L’entreprise a beaucoup investi dans la création de l’App Store, d’iTunes ou d’iCloud, qui permettent à l’utilisateur de sauvegarder en toute fluidité le contenu de son appareil dans les centres de données de l’entreprise. Cette boucle d’auto-renforcement explique en partie la réussite remarquable de la société de Cupertino.

Ainsi, là où le marketing classique s’emploie à vendre des produits ou des services, la plateformisation crée plutôt des écosystèmes complexes dans lesquels le marché ou la plateforme virtuelle, comme l’App Store, est le service qui est offert par l’entreprise.

«Lorsque nous axons nos efforts sur le produit, nous perdons de vue l’écosystème où se déroule la véritable concurrence, dit-il. Votre produit est peut-être encore le meilleur sur le marché, mais cela ne suffit plus nécessairement.»

En conséquence, poursuit Kamal Munir, les dirigeants doivent prendre conscience que les fondements des stratégies commerciales ne sont plus les mêmes. La croissance exponentielle des sociétés multisectorielles repose sur leur capacité à entretenir leur clientèle.

«Aux yeux des entreprises qui dominent nos écosystèmes, le produit, c’est le client. Dès lors que vous avez créé une clientèle, la diversification prend un tout autre sens, parce que vous pouvez connecter votre clientèle à d’autres services pour vendre votre produit.»

Nommé vice-chancelier adjoint de l’Université de Cambridge à l’automne 2021, Kamal Munir s’emploie à amener des changements durables au chapitre de l’équité, de la diversité et de l’inclusion (EDI) au sein de la vénérable institution.

Il estime que la haute direction doit se sensibiliser à ces questions et se livrer à une profonde réflexion sur les facteurs qui provoquent et perpétuent les inégalités dans les organisations. Par ailleurs, afin d’instaurer une véritable méritocratie, les équipes de recrutement doivent s’éloigner de la concordance culturelle dans leurs façons de faire, et les gestionnaires doivent revoir les critères et les préjugés présidant à l’octroi de promotions, selon lui.

Pour relever avec brio le grand défi de l’heure, les dirigeants d’entreprise doivent donc penser autrement, à l’instar des entreprises les plus florissantes dont la stratégie était souple et qui se sont bien adaptées à la nouvelle réalité numérique.

En d’autres termes, Kamal Munir estime que pour survivre dans le marché actuel, les entreprises devront collaborer et s’adapter. En outre, elles devront aborder avec nuance les enjeux, complexes, d’EDI afin de contribuer à l’évolution de la société.

 

Karl Moore est professeur agrégé à la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill. Stéphanie Ricci est étudiante en journalisme à l’Université Concordia.