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Philanthropie: du transactionnel au relationnel

Simon Lord|Édition de la mi‑mai 2021

Philanthropie: du transactionnel au relationnel

Jean M. Gagné, président de l'Institut Mallet (Photo: courtoisie)

PHILANTHROPIE. Adopter le paradigme de la philanthropie basée sur la confiance oblige les acteurs impliqués à transformer leurs relations les uns avec les autres.

En théorie, la philanthropie basée sur la confiance englobe des valeurs telles que l’apprentissage mutuel, le dialogue et des communications pl us transparentes. Sur le terrain, dans le cadre des relations donateurs-organismes, ces valeurs se traduisent de plusieurs façons. Elles prennent tout leur sens notamment dans le contexte de la reddition de compte, explique Jean M. Gagné, président de l’Institut Mallet, qui a pour mission de faire avancer les savoirs et la culture philanthropiques.

«Quand un donateur donne de l’argent, c’est dans le but de répondre à un besoin. Parfois, le donateur croit l’avoir bien identifié, mais les gens sur le terrain, qui jonglent avec les enjeux, ont parfois une vision différente et sont souvent mieux en mesure de diriger les fonds adéquatement, fait-il remarquer. C’est pour cette raison que le donateur doit être ouvert à l’expertise du donataire, dont le rôle sera alors de partager sa connaissance.»

«Il faut agir de façon moins directive et avoir confiance dans les moyens des gens sur le terrain, poursuit-il. C’est un changement d’attitude majeur.»

La pandémie a d’ailleurs joué un rôle de catalyseur à cet égard. Étant donné l’urgence, les règles ont été assouplies, et tout un chacun a dû agir avec plus d’agilité, de souplesse et d’adaptabilité pour répondre aux impératifs du terrain plutôt qu’à ceux des plans et des programmes rigides. «Tous les acteurs ont collaboré de façon plus intense, sans les exigences administratives habituelles, souligne Jean M. Gagné. Cette collaboration améliorée — et la communication étendue qui l’a accompagnée — a permis de répondre aux besoins plus rapidement.»

Naturellement, dans un contexte de reddition de compte, l’approche relationnelle peut créer un certain inconfort, puisqu’elle est intrinsèquement qualitative plutôt que quantitative. Il faut donc admettre une certaine dose de flou, d’intangible. Et accepter qu’il est parfois difficile d’expliquer qu’un partenariat ait eu plus d’impact qu’un autre, par exemple, puisque les organismes ne produiront pas de longs rapports présentant tous les détails de leur démarche.

Pour assurer le succès des donataires, le directeur général de la Fondation Béati, Jacques Bordeleau, suggère plutôt de développer une approche d’accompagnement de proximité, solidaire, qui se base non pas sur une relation contractuelle, mais sur une complicité à développer activement. De toute façon, idéalement, le donateur devrait en venir à connaître les organismes qu’il soutient au point de n’avoir plus vraiment besoin de lire des rapports sur leurs activités, rappelle celui dont la fondation subventionne des projets sociaux, spirituels et religieux «visant à construire un monde plus juste et solidaire».

«Pour notre part, nous avons une vision de compagnonnage, raconte-t-il. Nous faisons marche commune avec l’organisme dans ses projets. Je pense que c’est une approche plus structurante qui permet d’avoir plus d’effet à long terme.»

 

Embrasser l’humilité

La philanthropie basée sur la confiance demande à changer de paradigme et à faire preuve d’humilité, assure Jacques Bordeleau. Elle s’inscrit dans une vision selon laquelle le donateur reconnaît qu’il n’est pas l’expert dans la résolution des problèmes qu’il aimerait résoudre, mais que ce sont plutôt les organismes qui viennent vers lui qui le sont. Traditionnellement, l’attitude d’un donateur était plutôt l’inverse, soit d’affirmer avoir trouvé une solution et de chercher ensuite quelqu’un qui puisse la mettre en oeuvre à sa place.

Pour réussir dans le cadre de cette approche, il faut toutefois trouver le bon équilibre pour éviter de passer de l’humilité au désengagement. Jacques Bordeleau affirme donc adopter une approche bienveillante sans être complaisante. «On est au service du milieu, mais on se permet aussi de questionner, d’interpeler, de comprendre, bref on reste engagé», résume-t-il.

Et cette posture porte ses fruits. Quand la complicité finit par se développer, la transparence devient incomparable et beaucoup de barrières tombent, ce qui permet d’amener les projets encore plus loin, explique directeur général de la Fondation Béati.

«On s’engage intellectuellement et affectivement, alors on peut explorer de nouvelles zones et discuter de sujets qu’on aurait évités dans un cadre traditionnel. Un organisme, par exemple, pourrait ne pas tout révéler de peur de se disqualifier ou de perdre son financement. Mais la confiance nous permet de donner et d’avoir l’heure juste pour mieux ficeler les projets. On y gagne tous.»