(Photo: Cytonn Photography pour Unsplash)
PHILANTHROPIE. Propulsée par la pandémie, la philanthropie basée sur la confiance a prouvé ses vertus depuis un an. Ceux qui vantent cette approche estiment qu’elle promet de décupler l’effet des dons. Le concept pourrait bien métamorphoser le secteur de la bienfaisance… si les acteurs du milieu acceptent de se défaire de leurs vieilles habitudes.
La philanthropie basée sur la confiance est un vieux concept sous un nouveau nom, explique Jean-Marc Mangin, PDG de Fondations philanthropiques Canada. «C’est une approche basée sur les bons principes de partenariats dont l’hypothèse de départ est que nous n’avons pas, individuellement, toutes les solutions, détaille-t-il. Il faut collaborer plutôt que demander et contrôler.»
Les valeurs sous-jacentes à cette philosophie incluent un recentrage sur les relations, une approche collaborative basée sur l’humilité et la curiosité, une redistribution du pouvoir et un travail pour l’équité systémique.
La philanthropie basée sur la confiance implique donc des discussions franches entre donateurs et donataires. Jean-Marc Mangin explique qu’elle se solde aussi habituellement en une collaboration à long terme — on parle d’années plutôt que de mois — dans le cadre d’un programme d’action élargi plutôt qu’une union à court terme. À l’inverse, dans une approche plus traditionnelle, cette dernière se limite souvent à un seul projet précis.
Un exemple de cette nouvelle approche a par exemple fait les manchettes mondiales au début de l’année. En janvier, les médias ont rapporté que MacKenzie Scott, l’ex-épouse du patron d’Amazon, avait fait des dons totalisant 5,8 milliards de dollars américains en 2020.
Cependant, le montant n’était pas l’élément le plus remarquable; ce qui l’était, c’est le fait qu’elle n’ait attaché ni restriction ni exigence à ses contributions.
Faire confiance aux organismes
Cette flexibilité si surprenante dans l’utilisation des dons est au coeur de la philanthropie basée sur la confiance.
Traditionnellement, un donateur balise l’utilisation de ses fonds, précise Daniel H. Lanteigne, consultant en philanthropie, gouvernance et ressources humaines à BNP Performance philanthropique. Mais est-ce vraiment la meilleure approche? À son avis, il vaudrait parfois mieux faire confiance à l’organisme pour reconnaître les vrais besoins du terrain.
«Souvent, le don dirigé n’aide personne, parce qu’il n’y a pas de besoin pour ce à quoi a été affecté l’argent, comme une machine spécifique dans un hôpital, alors que d’autres besoins, eux, restent non financés», illustre-t-il.
Et la philanthropie d’impact, un autre concept qui a beaucoup fait parler, ne vient pas vraiment régler le problème, estime le consultant. «C’est le fun parce que tu crées un projet avec un début, une fin et de belles statistiques, alors ça donne bonne conscience. Sauf que pendant ce temps-là, qui soutient la mission de l’organisme? On doit faire confiance aux organismes pour l’allocation des fonds, sinon ils auront de la difficulté à survivre.»
Pandémie pivot
Alors qu’ailleurs en Amérique du Nord, le concept de philanthropie basée sur la confiance gagne en popularité depuis 5 à 10 ans, le sujet reste moins discuté au Québec, note Daniel H. Lanteigne.
La pandémie a toutefois forcé le milieu à s’y intéresser. Jusqu’à tout récemment, les grandes fondations avaient une approche «presque protocolaire», rappelle-t-il, à savoir qu’elles demandaient aux organismes de présenter «25 documents, 3 études et 1 rapport annuel imprimé en 6 copies» pour obtenir du financement. La COVID-19, et les impératifs de réagir rapidement aux besoins criants, a cependant forcé le milieu à adopter l’agilité — et la confiance.
«Le changement n’est pas draconien», reconnaît le consultant. Mais la Fondation du Grand Montréal, par exemple, a simplifié son processus de demande de financement. De grandes fondations privées, comme la Fondation J. Armand Bombardier, la Fondation McConnell et la Fondation Lucie et André Chagnon, ont aussi assoupli leurs exigences.
Les débuts
Selon Daniel H. Lanteigne, le milieu philanthropique est donc davantage à l’étape de la prise de conscience que de celle du changement généralisé. Justement, en janvier, Fondations philanthropiques Canada et Fondations communautaires du Canada organisaient un webinaire sur le sujet intitulé «Explorer la philanthropie fondée sur la confiance».
Jean-Marc Mangin reconnaît lui aussi que la philanthropie de confiance n’en est qu’à ses débuts au pays. «On n’a amorcé la discussion qu’en 2015, mais on espère que cette approche nous permettra de mieux soutenir le bien commun dans un contexte d’inégalités en croissance au Québec», souligne-t-il.
Quel avenir pour cette nouvelle manière de faire une fois que la crise sanitaire sera passée? «Je suis mitigé; j’ai peur qu’on retombe dans nos vieilles habitudes, affirme Daniel H. Lanteigne. Beaucoup le feront, je suppose. L’introspection, ça demande du temps et de l’argent. Ça va prendre des générations pour changer les choses. Mais si on y arrive, on va créer un effet de levier extraordinaire.»