«Depuis quelques décennies, il semble que la sensibilité morale soit un atout pour diriger une entreprise.» (Photo: 123RF)
EXPERTE INVITÉE. Récemment, le groupe Millani publiait son septième rapport sur les divulgations relatives aux facteurs ESG (environnement, société, gouvernance) à la suite d’une analyse des plus récents rapports ESG de 227 entreprises canadiennes cotées en bourse.
Tout en constatant un taux d’alignement de plus en plus important sur les objectifs de développement durable des Nations unies, ce rapport énonçait une préoccupation fort inquiétante quant à l’esprit de maquillage malsain qui sous-tend plusieurs de ces divulgations.
L’art du maquillage
Cette situation est répandue dans plusieurs pays comme le montre une étude réalisée par trois professeurs qui ont analysé l’engagement de plus de 1370 entreprises dans près de 100 pays. Intitulée Organizations’ engagement with sustainable development goals: From cherry-picking to SDG-washing?, l’étude conclut que les organisations préconisent souvent une approche fort discutable du développement durable et des facteurs ESG.
Dans le meilleur des cas, les organisations choisissent des objectifs pour lesquels elles peuvent décrire des stratégies, des actions ou des résultats très superficiels. Dans d’autres cas, qui représentent la majorité, les objectifs de développement durable ne servent qu’à ajouter de la couleur et de nobles intentions aux rapports publiés par les entreprises sur cette cruciale question.
Les résultats d’une autre enquête réalisée par la firme EY Global et portant sur l’intégrité des hauts dirigeants dans de nombreux pays soulèvent également de vives préoccupations quant à la culture prévalant dans certaines organisations.
• 42% des membres des conseils d’administration tolèrent des comportements non éthiques chez les membres de la haute direction et les employés performants;
• 34% affirment qu’il est facile de transgresser les règles d’affaires au sein de l’entreprise;
• 18% se disent prêts à induire en erreur des parties externes telles que les vérificateurs et les régulateurs.
Ces statistiques ont de quoi inquiéter. Existe-t-il une culture de leadership éthique qui soit fondée sur des valeurs d’honnêteté, d’intégrité, de respect et de transparence à la base de l’approche ESG? Ou bien les entreprises se cachent-elles derrière un écran de fumée?
La quête d’éthique
Je me permettrai de reprendre les grandes lignes d’un texte que je publiais dans ce blogue autour de la question suivante: pourquoi l’éthique est-elle si silencieuse dans l’approche des facteurs ESG?
Depuis quelques décennies, il semble que la sensibilité morale soit un atout pour diriger une entreprise. Le questionnement éthique a pris progressivement plus de place dans nos organisations avec la révélation de scandales financiers importants, ici comme ailleurs, parmi lesquels on retrouve Cinar, WorldCom, Enron, Adelphia, Norbourg et malheureusement beaucoup d’autres.
Selon une étude menée en 2019 par la firme EY Global sur la reddition de comptes d’entreprise, 74% des responsables financiers estimaient que les investisseurs utilisent de plus en plus des informations extrafinancières dans leur prise de décision. Cette quête de l’éthique dans la prise de décision se reflète tout autant au niveau des dirigeants que du personnel, de plus en plus à la recherche d’un sens à son travail.
Éthique et gouvernance
Quant à la gouvernance, ses origines remontent au début des années 1930, lorsque les auteurs Berle et Means ont traité des risques inhérents à la séparation entre la propriété et le contrôle de l’entreprise qui entraîne des conflits d’intérêts entre dirigeants et actionnaires. Elle a pris un nouvel envol avec la publication du rapport Cadbury en 1992. Les recommandations portaient notamment sur la nécessité de former des conseils d’administration composés de membres externes à la direction de l’entreprise, la création de comités spécialisés et l’adoption d’un code de conduite fondé sur les principes d’ouverture, d’intégrité et de responsabilisation.
La gouvernance peut se décrire en deux volets: celle ayant trait à l’architecture de la gouvernance (conseil d’administration, actionnariat, rémunération, aspect financier et gestion de risques) et celle relative au comportement de l’entreprise (code d’éthique et de déontologie, pratiques commerciales, corruption, fiscalité, citoyenneté corporative).
Il existe donc un lien entre l’éthique et la gouvernance qui peut être soit ignoré par les dirigeants, soit servir de justificatif pour des actions de philanthropie ou d’aide à la communauté sans pour autant nourrir son processus décisionnel ou être incarné dans son fonctionnement, sa mission, ses valeurs et ses stratégies.
Finalement, l’éthique devrait-elle être ajoutée au trio ESG (environnement, société, gouvernance) pour former un quatuor EESG? Pour ma part, je crois que oui, car l’éthique apporte tout le sens nécessaire à la transformation de la société souhaitée par la responsabilité sociale et les facteurs ESG tout en se rappelant, en tant que dirigeant, que «la meilleure façon de faire, c’est d’être.» — Lao Tzu