L'accélération des projets permettra des mises chantier dans toutes les régions du Québec avant les prochaines élections. (Photo 123RF)
CHRONIQUE. La présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, a déposé, le 23 septembre, son projet de loi 66, Loi concernant l’accélération de certains projets d’infrastructure. Il remplace le projet de loi 61, que le gouvernement Legault a retiré au printemps devant le tollé soulevé par les pouvoirs discrétionnaires exorbitants que se donnait le gouvernement en matière d’approbation de projets de construction.
Par rapport à ce qu’on a qualifié de « bull-dozer 61 », le projet de loi 66 est une amélioration considérable. Mieux que son prédécesseur, il encadre l’action de l’État-promoteur de projets d’infrastructure.
D’autres chroniqueurs ont fait état des forces du projet de loi et des points à améliorer. Il sera discuté et bonifié en commission parlementaire et à l’Assemblée nationale. Aussi, je ne m’attarderai pas sur une analyse comparée des deux projets.
Toujours une loi d’exception
Une telle analyse, en effet, est un piège. Elle fait oublier la question vraiment fondamentale de cette démarche. Version 66 ou 61, il s’agit toujours d’une législation d’exception. Il s’agit toujours de permettre à l’État d’échapper à ses propres règles « normales ». Parce que, semble-t-il, la lourdeur des règles normales dérange. Une telle démarche est signe d’un état d’esprit déconcertant dans un État de droit et de démocratie.
Au moment de présenter son projet de loi aux médias, Sonia LeBel a fait l’affirmation suivante : « [Il] est possible d’accélérer la mise en chantier des projets sans faire de compromis sur l’intégrité et sans faire de compromis sur l’environnement. »
Je ne demande qu’à le croire. Mais s’il est possible d’accélérer sans compromis, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Pourquoi donner à ces nouvelles règles un caractère temporaire ? Pourquoi les limiter à 181 projets précis ?
Pluie de projets
Cela tient sans doute de la coïncidence, mais l’accélération des projets permettra de les mettre en chantier, dans toutes les régions du Québec, avant les prochaines élections. La presse régionale du Québec a d’ailleurs accueilli le projet de loi 66 comme elle accueillait les promesses de routes, de ponts et d’écoles de Duplessis dans les années 1950 : en insistant sur le nombre de projets dévolus à « sa » région, sans préoccupation apparente pour quelque plan d’ensemble.
Admettons toutefois, aux fins de discussion, qu’une mesure d’exception temporaire soit nécessaire pour que 181 projets d’infrastructure soient entrepris à temps pour la « relance » de l’économie. Admettons que les carnets de commandes de l’industrie s’amincissent à vue d’oeil et qu’il faille les regarnir de toute urgence. Admettons que les chantiers d’infrastructure puissent employer des chefs cuisiniers et des serveurs de restaurant, des pilotes et des agents de bord qui ont perdu leur emploi.
Admettons. Si c’est le cas, il faudra, dès la sanction dans l’« urgence » du projet de loi 66, mettre en chantier un ou plusieurs projets de loi destinés à rendre plus efficaces, mais de façon pérenne, les processus d’approbation de tous les projets publics.
Au fait, pourquoi limiter cette rationalisation des processus aux projets publics ? Les promoteurs privés bénéficieraient aussi, à n’en pas douter, de mesures d’« accélération sans compromis ».
Soyons donc sages. Considérons le projet de loi 66 non pas comme une loi d’exception et temporaire, mais comme un projet pilote destiné à vérifier s’il s’agit véritablement d’une accélération sans compromis. Avant d’en faire une mesure permanente.