Pour contrer la crise du logement, cap sur la densification
Philippe Jean Poirier|Publié le 15 mai 2022La ville de Chambly a implanté un programme particulier d’urbanisme dans son centre-ville. (Photo: 123RF)
STRATÉGIES MUNICIPALES DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE. Face à une crise du logement qui se généralise dans la province, plusieurs élus municipaux se tournent vers des stratégies de densification urbaine pour sortir leur ville de l’impasse. Si le concept en séduit plusieurs, les réactions sont différentes quand le projet devient réel.
C’est ce qu’a découvert Guy Caron, le nouveau maire de Rimouski. La capitale régionale du Bas-Saint-Laurent affiche un taux d’inoccupation de 0,2%, alors que le point d’équilibre se situe normalement à 3%. «On manque de tout: de logements sociaux, de maisons unifamiliales et de multilogements», explique-t-il. Par conséquent, le recrutement de main-d’œuvre y est freiné, tout comme l’accueil des réfugiés — malgré son statut de ville-refuge.
L’ancien député du Nouveau Parti démocratique soutient avoir parlé de densification urbaine «presque tous les jours de campagne». «Les gens savaient ce que je voulais faire», insiste-t-il, rappelant qu’il a été élu à 82%.
Pourtant, il ne parvient à faire n’accepter aucun projet en ce sens. «Lorsqu’on veut changer la classification du zonage pour construire des multilogements, il suffit qu’un petit groupe de citoyens signent le registre de contestation pour bloquer le projet», se désole-t-il. Au moment d’en discuter avec Les Affaires, une quarantaine de citoyens venaient d’obtenir l’arrêt d’un projet de construction de maisons jumelées sur la rue du Fleuve, dans le district de Pointe-au-Père.
La ville de Chambly, en Montérégie, a récemment connu une situation similaire. L’implantation de son programme particulier d’urbanisme (PPU) pour le centre-ville a été paralysée par des contestations citoyennes, ce qui a empêché tout changement de zonage pendant trois ans. «Avec le vieillissement de la population, nous observons le début d’un cycle qui amène nos résidents de longue date à vendre leur maison et emménager dans des multilogements, constate la mairesse Alexandra Labbé. Et on peine à répondre à la demande.» Elle rappelle que 95% du périmètre urbain chamblyen est déjà construit, ce qui rend la densification d’autant plus pertinente.
Jean-Philippe Meloche, professeur agrégé à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal, n’est pas surpris d’apprendre que des élus peinent à densifier des secteurs stratégiques de leur ville. Convenant d’abord que la crise du logement est un phénomène «complexe», il souligne néanmoins une évidence: «Tous ceux qui sont propriétaires d’une maison détiennent des actifs qui se valorisent dans un marché caractérisé par la rareté des logements. Ce que l’on décrit comme une “crise” n’est pas un problème pour 60% de la population qui sont propriétaires.»
Ainsi, les élus essaient de concrétiser un «choix collectif» qui, «malheureusement», lèse une majorité de citoyens qui ont des «droits acquis» sur le territoire, résume-t-il.
Négocier ou changer les règlements
À Chambly, Alexandra Labbé croit maintenant être en mesure de faire adopter un nouveau PPU dans les mois à venir. Son administration a exclu deux quartiers « dortoirs» où résident des opposants au changement de zonage, et il n’y a pas eu de signatures de registre lors du nouveau dépôt de la proposition.
Ce PPU identifie un potentiel de 950 nouveaux logements pouvant être construits à des endroits stratégiques. La mairesse de Chambly y voit une occasion de «consolider» les services déjà en place: «En densifiant des secteurs, on est en mesure de donner accès au transport en commun à un plus grand nombre de citoyens et on dynamise le centre-ville.»
Plutôt que de négocier des projets secteur par secteur, Guy Caron veut quant à lui procéder à une refonte des règlements municipaux rimouskois. Pendant sa campagne électorale, il s’est engagé à réviser le plan d’urbanisme à la lumière d’une consultation citoyenne, puis de revoir l’ensemble de la réglementation de zonage de la ville, qui compte 500 pages. «Nous voulons accélérer le développement immobilier en éliminant les irritants des promoteurs, fait-il valoir. Cela, en gardant ce qui est utile en matière d’esthétisme et de bonne gouvernance municipale.»
Tirer les leçons du passé
Notons que la densification n’a pas toujours été sur le radar des élus municipaux. Au milieu des années 2000, la ville de Rimouski a encadré un vaste projet de développement immobilier dans les «Prés du Saint-Rosaire», qui misait largement sur des maisons unifamiliales et des jumelés. «C’est vrai qu’il y a eu peu de densification dans ce secteur», concède Guy Caron, soulignant le peu de commerces de proximité présents dans ce quartier. «Ce projet aura été une bonne école et je crois qu’on en tire les leçons aujourd’hui.»
Au même moment, la ville de Chambly a elle aussi connu, selon les mots de la mairesse, une forme «d’étalement urbain […] sans âme», sur les terrains de l’ancien golf. Les citoyens sont toutefois parvenus à bloquer la troisième phase de construction du projet Chambly sur le golf. «Avec raison», admet la mairesse.
Ce texte a été mis en ligne le 23 mars 2022.