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Pour une bienveillance radicale

L'économie en version corsée|Édition de janvier 2020

Pour une bienveillance radicale

Il convient, comme toutes les toxines, de s'en débarrasser sans tarder. Comment s'y prendre, me direz-vous ? À l'aide d'un traitement de choc, tant l'urgence est grande : j'ai nommé la bienveillance. (Photo: UxVenture/ Unsplash)

CHRONIQUE. La nouvelle année vient à peine de démarrer que des nuages noirs se profilent déjà à l’horizon. Une note économique de Desjardins souligne en effet que «l’économie mondiale n’a cessé de ralentir en 2019, la croissance du produit intérieur brut (PIB) réel mondial étant tombé à 3 % l’an dernier après avoir été de 3,6 % en 2018» et que la tendance devrait se maintenir, ne serait-ce qu’en raison du fait que «les aléas de la politique protectionniste de l’administration Trump ne cessent d’embrouiller les perspectives pour les entreprises, lesquelles ont pour réflexe défensif de restreindre leurs investissements». Bref, «l’incertitude a été un thème clé en 2019», et tout indique qu’il devrait encore l’être en 2020.

C’est clair, nous avons en nous des toxines – guerres commerciales, mesures protectionnistes, tensions internationales exacerbées… – qui nuisent directement à notre santé socioéconomique. Et il convient, comme toutes les toxines, de s’en débarrasser sans tarder (sans quoi, il nous faudrait nous résoudre à aller de mal en pis durant les mois et les années à venir).

Comment s’y prendre, me direz-vous ? À l’aide d’un traitement de choc, tant l’urgence est grande : j’ai nommé la bienveillance. Explication.

«Être bienveillant, ce n’est pas nier la gravité du monde. Ce n’est pas faire preuve de mièvrerie ni de mollesse. C’est, en vérité, une arme absolue, une arme qui désarme l’ennemi.» Qui parle ainsi ? L’écrivain français Didier van Cauwelaert, dans son tout dernier essai, La bienveillance est une arme absolue (L’Observatoire, 2019).

«Si vous ressassez le mal qu’on vous a fait, si vous voulez vous venger, vous continuez à installer l’ennemi en vous, et c’est donc lui qui gagne, indique-t-il. Car il vous amène chimiquement à fabriquer des toxines.» D’où l’intérêt de tirer du positif à partir du négatif en nous, d’apprendre à user de bienveillance.

L’idée est ici de «vouloir du bien» en dépit du mal, d’enclencher «une circulation d’énergie» visant à rétablir l’«harmonie» et à favoriser l’«imprégnation mutuelle». Ce qui peut se faire, d’après van Cauwelaert, à l’aide des deux moteurs que sont l’«empathie» (la capacité à se mettre à la place d’autrui) et «la gratitude» (la reconnaissance envers un bienfait d’autrui). Laissez-moi vous donner deux exemples lumineux à ce sujet…

L’empathie, selon Lisa Lindström

Lisa Lindström est à la tête de Doberman, un studio de design qui a des bureaux à Stockholm, New York et Berlin et qui est considéré comme l’une des meilleures entreprises où travailler en Suède. La PDG veille à ce que chaque décision s’inscrive dans l’«équation magique de la réussite en affaires» : qualité + bien-être = profits.

«Mon souci premier, c’est que chaque employé s’épanouisse, c’est-à-dire puisse faire un travail de qualité et se sente bien au quotidien, m’a-t-elle confié lors du dernier C2 Montréal. Et j’ai vite réalisé que cela passait par l’implication et l’autonomisation maximales de chacun. Par exemple, notre conseil d’administration a toujours un siège ouvert, qu’occupe l’employé qui le souhaite ; ou encore, chacun travaille quand et où bon lui semble, pourvu que cela ne nuise pas à son équipe.»

Résultat ? En dirigeant son entreprise de façon à ce que les besoins fondamentaux de sa centaine d’employés soient tous comblés, Mme Lindström a permis à Doberman de voler de succès en succès : année après année, ses profits connaissent un pourcentage de croissance à deux chiffres, une rareté, de nos jours, dans le secteur du design.

La gratitude, selon Nicolas Chabanne

Au début des années 2000, la France a connu une crise du lait, et Nicolas Chabanne a fait un petit calcul : pour qu’un producteur laitier puisse vivre de son métier, il lui manquait 8 centimes d’euros par litre de lait ; comme un Français en consomme en moyenne 50 litres par an, cela représentait un simple ajout annuel de 4 euros par les consommateurs pour redonner le sourire à tous les producteurs laitiers. Ni une ni deux, il a cofondé, en 2006, C’est qui le patron ? !, une communauté de consommateurs conscientisés prêts à payer leur lait un poil plus cher en échange de quoi celui-ci serait extrait des grands réseaux de distribution agroalimentaire. Là, le lait serait «alternatif», c’est-à-dire directement collecté auprès des producteurs, empaqueté dans des briques de la marque C’est qui le patron ? !, puis vendu dans des supermarchés partenaires. Le principe serait simple : les membres – autrement dit, les consommateurs – fixeraient eux-mêmes le prix de vente, par votes réguliers, l’idée n’étant pas de casser les tarifs, mais d’exprimer de la gratitude envers les producteurs.

Une douce utopie ? Aujourd’hui, C’est qui le patron ? ! représente 11 millions d’acheteurs réguliers et un chiffre d’affaires de 150 millions d’euros (220 M $). Ce sont 14 produits différents (lait, beurre, yaourt, jus de pomme, chocolat…) présents dans 17 % des foyers français. «Nous sommes la preuve vivante qu’être reconnaissant envers le travail des autres est enrichissant pour tout le monde», m’a dit M. Chabanne, encore éberlué d’un tel succès.

«La bienveillance est la seule réponse à la crise morale et socioéconomique que traversent nos sociétés. Il est urgent de la radicaliser, de la pratiquer sans peur, sans honte et sans modération», lance M. van Cauwelaert. Avec raison, de toute évidence.

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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