(Illustrations: Karine Lequy et Florence Lemay)
BLOGUE INVITÉ. Les linguistes s’entendent rarement sur l’origine des mots, à une exception près. Plusieurs sources retracent l’origine du mot « tabou » jusqu’en Polynésie avec le mot « tapua » (ou tupua) qui signifie « sacré », « interdit » ou encore « qui ne doit pas être touché ».
Pas étonnant qu’il y ait des tabous au sein des familles en affaires. Après tout, on peut dire que la famille, c’est sacré. Chaque famille a aussi bien des secrets auxquels elle n’ose pas toucher. En n’abordant pas ces sujets, elle résiste, croyant ainsi protéger ce qui lui tient le plus à coeur et éviter le pire.
Or, toute famille (qu’elle soit en affaires ou pas) aurait intérêt à aller à la rencontre de ses tabous. Pourquoi, en effet, fuir ces sujets délicats ? Pour ne pas empirer les choses ? C’est souvent une erreur : bien souvent, c’est la fuite qui empire les choses.
Bien sûr, il s’avère impossible de définir tous les tabous pouvant exister dans les familles. Pour cette raison, nous aborderons, dans cet article, deux grandes catégories de tabous qui empêchent les familles d’ouvrir certaines discussions qui pourraient les aider à grandir et à travailler ensemble.
La peur du conflit
L’une des craintes les plus répandues au sein des familles (qu’elles soient en affaires ou non) est la peur de créer des conflits en abordant les sujets tabous. Nous nous aimons, ça devrait être suffisant, non ? Pourquoi faire preuve d’honnêteté alors que nous savons que nous nous disputerons si nous sommes honnêtes ?
Cliquez sur le dessin pour le voir en grand format. (Illustrations: Karine Lequy et Florence Lemay)
Cette crainte ne devrait pas empêcher les familles d’ouvrir la discussion. Ne pas comprendre l’opinion d’un membre de la famille n’est pas synonyme d’un manque d’amour. De même, le conflit n’est pas nécessairement synonyme de chaos ou de paroles blessantes. Il s’agit simplement de deux idées qui se rencontrent. Ces idées appartiennent souvent à deux personnes qui adhèrent à deux systèmes de croyances différents. Pour éviter d’alimenter un conflit négatif, il suffit que les deux personnes prennent un pas de recul et tentent de comprendre l’opinion de l’autre.
Se mettre dans les souliers de l’autre, ce n’est pas facile en famille. C’est prouvé : on a de la difficulté à écouter ceux qu’on aime parce qu’avec les années, on perd le désir de faire preuve de curiosité envers l’autre. Ce n’est rien de mal intentionné, seulement, on se connaît tellement qu’on arrête de prêter attention à l’autre. À un certain point, on se convint qu’il n’y a rien de plus à apprendre.
Or, quand on fait un petit effort, quand on s’efforce de comprendre la raison qui pousse l’autre à adopter son opinion, on trouve rapidement un terrain d’entente. C’est de cette rencontre que naît, bien souvent, une opinion meilleure que les deux premières et à laquelle personne n’aurait pensé autrement.
Ouvrir la discussion avec honnêteté est aussi une façon d’inclure tout le monde dans la déconstruction des tabous familiaux. Trop souvent, celui ou celle qui attire les confidences de tous les membres de la famille, en endossant le rôle de médiateur naturel, reçoit les confidences de chacun et se retrouve, bien malgré lui, pris entre l’arbre et l’écorce.
Mauvaise perception
Puisque les membres d’une famille se connaissent par coeur, ils développent parfois certains biais qui peuvent, à la longue, créer des tabous.
Pourquoi devrais-je dire tout haut ce que je pense tout bas, tout le monde sait ce que je pense de toute façon, non ? Pas forcément, non. La famille n’est pas télépathe, elle n’a pas la faculté de lire dans les pensées.
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Pourquoi tenter de changer les choses et de parler ouvertement ? Nous savons déjà ce qui va se passer…
On ne peut pas se fier aux réactions antérieures d’un membre de la famille pour prédire la façon dont il réagira devant une situation donnée. La neuroscience révèle que nous changeons constamment. L’opinion qui nous habite aujourd’hui n’est pas forcément celle que nous défendrons dans vingt ans.
Pourquoi, dans ce cas, ne pas donner le bénéfice du doute à la famille ? Pourquoi ne pas lui faire confiance ? Ce ne pourra être que bénéfique : les recherches démontrent que, lorsqu’on fait confiance aux autres, ils sont plus susceptibles de faire confiance à leur tour.
Pourquoi tenter de changer les choses ? Ça ne sert à rien, nous n’avons aucun pouvoir, ce sont nos parents qui mènent la barque.
Nous entendons souvent ce refrain de la jeune génération. Ce qu’il faut comprendre, c’est que ce pouvoir arrive quand les enfants montrent leur côté « adulte ». Habituellement, un nouveau dialogue s’installe quand les parents voient leurs enfants faire preuve de confiance, se montrer compétents ou encore poursuivre un objectif plus grand qu’eux.
Au sein de l’entreprise
Quand une famille en affaires entre dans un processus de transfert, plusieurs tabous peuvent également leur barrer la route.
Il peut s’avérer important de déconstruire la perception qu’ont les cédants de l’apprentissage. Ils comprendront un jour… L’apprentissage ne fait pas par osmose. Chaque apprenant est différent, impossible de se fier au temps que le cédant a pris pour acquérir les mêmes compétences.
La perception de l’importance du contexte peut aussi créer des décalages entre le cédant et le repreneur. On a toujours fait ça comme ça… Eh bien, il est peut-être temps de prendre en considération le nouveau contexte qui est en train de se mettre en place.
L’efficacité au travail peut aussi être vue de différentes façons par les membres de l’entreprise familiale. Certains accordent peut-être moins d’importance aux rencontres que d’autres. Une chose est sûre, ces rencontres (peu importe leur nature) ne sont jamais une perte de temps si on discute de ce qui importe vraiment.
Enfin, le dernier biais, mais non le moindre : penser que les émotions n’ont pas leur place en affaire. Les entreprises familiales sont faites d’émotions : le cédant s’investit souvent corps et âme, c’est d’ailleurs ce qui rend si difficile son départ. Les repreneurs, quant à eux, sont souvent animés par un désir de ne pas décevoir. La vraie question est donc celle-ci : va-t-on gérer les émotions avant qu’elles ne deviennent un obstacle ?
Comment déconstruire les tabous
En somme, même si les tabous peuvent prendre plusieurs formes, la plupart d’entre eux naissent de la peur de créer des conflits négatifs ou encore d’une perception biaisée.
Notre cerveau travaille sans relâche pour nous faire sentir en sécurité. Il peut nous convaincre que rester sous l’eau une minute de plus nous mènera à notre perte alors qu’en réalité, nous pourrions tenir bien plus longtemps.
En dépassant les peurs qui nous habitent, nous nous apercevons souvent que nous pouvons nous attaquer à des montagnes que nous n’aurions jamais osé gravir auparavant.
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Et souvenez-vous que les membres de votre famille sont toujours bien intentionnés. Il vous suffit donc d’aller chercher de l’aide pour déconstruire vos tabous familiaux. Que ce processus prenne l’apparence d’un médiateur, d’un avocat, d’un facilitateur ou encore de simples rencontres, il sera toujours mené par des personnes qui ne veulent que votre bien et qui souhaitent vous faire sentir en sécurité.
Retenez aussi que ces conversations peuvent être éprouvantes : fixez-vous des limites claires et abordez chaque tabou à petites doses.
Dans le prochain article, nous aborderons quelques perles découvertes dans différents congrès à travers le monde dans les dernières années.
Directrice du Center for Individual and Organizational Performance, Natalie McVeigh est coach, consultante, et médiatrice spécialisée auprès des clients à valeur nette élevée. Elle est praticienne en neurosciences et a obtenu des certifications supplémentaires en matière d’évaluation de la personnalité et des préférences qui aident ses clients à construire leurs répertoires de communication ainsi qu’à mettre en oeuvre des plans de la relève et d’autres stratégies visant à renforcer leurs bases familiales. Avant de rejoindre la firme EisnerAmper, Mme McVeigh était associée dans son propre cabinet de conseil et de coaching. Elle est membre de la faculté, mentore, et membre du CA du Family Firm Institute ainsi qu’une instructrice universitaire chevronnée qui a conçu des cursus. Elle est titulaire d’un certificat en conseil familial avancé et en conseil patrimonial familial avancé. Au fil des ans, elle a obtenu des certifications supplémentaires en philanthropie, bonheur, résilience, finance comportementale, et diverses méthodologies de coaching. Mme McVeigh a publié des articles, fait des présentations à des publics internationaux, et animé des sessions de formation sur la dynamique familiale à l’intention des clients et des conseillers eux-mêmes. Mme McVeigh a obtenu un baccalauréat en droit et société ainsi qu’en philosophie au Hood College, et une maîtrise de sciences en éthique et conformité des affaires au New England College of Business and Finance.