Pourquoi Kamala Harris veut qu’on oublie son séjour à Montréal
Alan Freeman|Mis à jour le 24 octobre 2024Kamala Harris (Photo: Andrew Harnik / Getty Images)
EXPERT INVITÉ. Il existe une longue tradition de présidents américains ayant des liens mémorables avec le Canada.
Pendant plusieurs décennies, Franklin Delano Roosevelt, président des États-Unis entre 1933 et 1945, a passé tous ses étés sur l’île de Campobello au Nouveau-Brunswick, un lieu de retraite privilégié pour les Américains fortunés.
Roosevelt et son épouse, Eleanor, ont reçu en guise de cadeau de mariage leur maison sur l’île. Et c’est sur cette même île, qu’à l’âge de 39 ans, le futur président fut frappé par la polio. Le site est aujourd’hui un parc international, exploité conjointement par le Canada et les États-Unis, symbole de l’amitié entre les deux pays.
William Howard Taft, président des États-Unis de 1909 à 1913, avait des liens similaires avec La Malbaie, dans le comté de Charlevoix, au Québec.
Pendant 40 ans, sa famille quittait l’Ohio tous les étés pour se rendre à leur maison de Pointe-au-Pic, au bord du fleuve Saint-Laurent. Pendant quelques années, il fut même le président du Murray Bay Golf Club.
Mais peu de personnages politiques américains ont eu un lien plus étroit avec le Canada que Kamala Harris, la candidate démocrate à la présidence.
Kamala Harris a vécu à Montréal durant 5 ans
Mme Harris a en effet habité Montréal pendant cinq ans entre l’âge de 12 et 17 ans. Elle a quitté le CÉGEP pour fréquenter l’université Howard à Washington, dans le district de Columbia.
Mais il ne faut guère s’attendre à ce que Mme Harris fasse grand cas de cette étape importante de sa vie.
Dans sa biographie officielle, elle ne mentionne que brièvement ses années à Montréal, où elle se plaint surtout de l’absence de la Californie après avoir déménagé dans une ville où il y avait «12 pieds de neige» et où l’on y parlait une langue étrangère, le français.
Lors de la convention démocrate de cet été, Mme Harris a raconté un incident survenu pendant son adolescence à Montréal, lorsqu’une amie de son école secondaire, victime d’abus, est venue prendre refuge chez les Harris.
Mais Mme Harris a omis de mentionner que cet événement transformateur avait eu lieu au Canada.
Pourquoi cette réticence à parler de ses années au Canada?
La mère de Mme Harris, Shyamala Gopalan, est née en Inde et a fait ses études à l’Université de Californie. Le père de Mme Harris était un économiste d’origine jamaïcaine, qui enseignait à l’Université de Stanford.
Ils ont divorcé en 1971.
Kamala et sa jeune sœur quittent donc la Californie pour le Québec en 1977, après que leur mère a été engagée comme chercheuse en cancérologie par l’Hôpital général juif et l’Université McGill.
Mme Gopalan a fait carrière à Montréal pendant 16 ans. Elle est décédée en 2009.
Elle a fréquenté l’école anglophone et francophone
La jeune Kamala a brièvement fréquenté une école francophone à Montréal, mais après avoir éprouvé des difficultés avec l’apprentissage d’une nouvelle langue, elle a éventuellement été transférée à l’école secondaire de Westmount.
C’est la période de tension qui suit l’élection du parti québécois au référendum de 1980.
Westmount High School a ses propres défis. Bien qu’elle soit située dans un quartier huppé, elle accueille de nombreux élèves noirs de la Petite-Bourgogne et de Saint-Henri, qui se sentent discriminés.
Selon les comptes rendus des journaux, Harris sympathise avec les étudiants noirs même si sa situation personnelle n’est pas particulièrement difficile. Sa mère loue un duplex confortable sur l’avenue Grosvenor à Westmount.
Mais les Québécois ne doivent pas s’inquiéter de son oubli.
Le fait que Mme Harris ne mentionne pas ses années montréalaises n’a rien à voir avec les tensions fédérales-provinciales reliées à l’indépendance ou la loi 101.
Son problème, c’est Donald Trump.
Il faut se rappeler que M. Trump a fait son entrée sur la scène politique américaine en propageant le mythe selon lequel Barack Obama n’était pas vraiment un citoyen américain et qu’il était donc inéligible à la présidence.
Trump a déclaré que le certificat de naissance d’Obama était frauduleux, et il a fait croire qu’Obama était né au Kenya, et non à Hawaï, ce qui est faux bien entendu.
La Constitution américaine stipule que tout candidat à la présidence doit être un «citoyen né» (natural-born citizen) un terme vague, mais les experts juridiques ont souligné qu’Obama était né aux États-Unis et qu’il n’y avait donc aucun doute quant à sa citoyenneté.
C’est un refrain que M. Trump a répété depuis.
Par exemple, lorsque Nikki Haley s’est présentée contre Trump pour l’investiture républicaine, Trump a mis en doute son admissibilité, bien qu’elle soit née en Caroline du Sud, mais de parents originaires de l’Inde.
Trump remet en cause la citoyenneté de ses rivaux
M. Trump a même remis en question la citoyenneté du sénateur Ted Cruz, un ancien rival pour l’investiture républicaine.
Il reprochait à M. Cruz d’être né à Calgary d’une mère américaine, lui conférant ainsi automatiquement la double nationalité américaine et canadienne.
La pression est devenue si intense que Cruz a renoncé à sa citoyenneté canadienne.
En essayant de semer le doute sur la véritable identité de son adversaire, M. Trump a prétendu que Mme Harris avait toujours été connue comme une personne d’«origine indienne», mais qu’elle avait récemment «fait un virage et… était devenue une personne noire».
En réalité, Mme Harris se décrit comme noire depuis des décennies.
Le candidat de Trump à la vice-présidence, JD Vance, a réitéré ces doutes sur Mme Harris, la qualifiant de «caméléon» qui a en fait été «élevée au Canada».
Compte tenu de ces allégations, Kamala Harris est contrainte de prouver qu’elle est une citoyenne américaine pure laine et non une étrangère.
Elle ne veut surtout pas rappeler les électeurs américains de son séjour à Montréal, où elle a peut-être encouragé les Canadiens de Montréal et chanté le «Ô Canada» à Westmount High School.