Les interventions gouvernementales sur les marchés des minéraux critiques révèlent un nouveau « nationalisme des ressources » qui vient modifier les façons de faire. (Photo: 123RF)
EXPERT INVITÉ. Imaginez que vous faites à peu près les mêmes choses depuis 20 ans. Et que du jour au lendemain ou presque, vous devez vous réinventer au risque de rater des opportunités de marchés qui n’arrivent qu’une fois dans une vie.
Le scénario n’est pas fictif. C’est celui de la pression qu’exerce la transition énergétique sur l’industrie minière. Les bouleversements annoncés s’opèrent sur deux fronts :
- La course aux minéraux dits critiques et stratégiques
- La décarbonation de l’industrie
Deux vastes chantiers qui débutent à peine, mais à un rythme rarement observé dans le monde des mines. Le tout dans un contexte qui affecte tout le monde : celui de la rareté et de la diversité de la main-d’œuvre.
Véritables moteurs de la révolution industrielle du 19e siècle, les mines de charbon sont toujours essentielles aujourd’hui.
En 2022, elles constituaient encore le principal générateur de revenus des 40 plus importantes minières (top 40) dans le monde. Mais la demande baisse. Par exemple, des 19 minières sur 40 qui tiraient leurs revenus du charbon en 2012, il en reste seulement 11 aujourd’hui.
C’est donc le mix des matières premières qui connaît actuellement une importante mutation au profit des minéraux dits critiques et stratégiques (le lithium, le cobalt, le cuivre, etc.).
Des matières premières en forte demande pour l’électrification des véhicules et les infrastructures reliées aux énergies renouvelables.
Les nouveaux joueurs qui changent tout
La demande pour les minéraux stratégiques s’accompagne de nouveaux joueurs dans la dynamique industrielle : les gouvernements nationaux. Plusieurs États s’impliquent dans le développement minier afin de sécuriser leurs approvisionnements.
Ces participations prennent de multiples formes : alliances, partenariats stratégiques, accords commerciaux, politiques, lois, règlements, crédits d’impôt, financements, etc.
La plupart de ces accords viennent tout juste d’être conclus et leur impact ne se fait pas encore sentir, mais les implications pourraient être considérables. On imagine que la reconfiguration des chaînes d’approvisionnement existantes nécessitera d’énormes capitaux et qu’elle pourrait entraîner une forte volatilité des prix.
Sans grandes surprises, les États-Unis disposent de moyens costauds pour sécuriser leurs chaînes d’approvisionnement en matériaux critiques et stratégiques. L’Inflation Reduction Act (IRA) représente probablement le plus important texte législatif de toute l’histoire du pays dans la lutte aux changements climatiques.
Avec quelque 370 milliards de dollars américains (490G $CA) de dépenses et de crédits d’impôt pour soutenir les industries et les chaînes d’approvisionnement énergétique propre, l’IRA augmente considérablement le volume de capital public disponible pour les investissements dans les minéraux critiques.
Même les minières qui exploitent des sites en dehors du territoire américain ne sont pas en reste. Elles peuvent modifier leurs processus d’exploitation, leurs plans d’investissement, leurs accords de prélèvement, leurs itinéraires de traitement et leurs politiques de main-d’œuvre pour tirer parti des incitations de l’IRA.
D’autres lois et politiques viennent compléter l’arsenal, comme la CHIPS (Creating Helpful Incentives Produce Semiconductors and Science Act), en plus de diverses dispositions des politiques connues comme le programme Made in America.
Du côté des ententes multilatérales, le Minerals Security Partnership (MSP), dirigé par le Département d’État américain, vise à stimuler les investissements du gouvernement et du secteur privé.
Les pays partenaires comprennent l’Australie, le Canada, la Finlande, la France, l’Allemagne, le Japon, la Corée, la Suède, le Royaume-Uni, de même que l’Union européenne.
On s’en doute, les Américains ne sont pas les seuls à protéger l’accès aux minéraux critiques et stratégiques. L’Australie, l’Inde, l’Union européenne, le Royaume-Uni, le Canada et même le Québec ont publié des lois, des mesures et des plans dans ce sens.
De plus en plus de gouvernements achètent des minéraux critiques pour garantir leur approvisionnement sur des marchés qui se resserrent. Le concept de « réserve stratégique » utilisé pour le pétrole fait rapidement son chemin.
L’Union européenne a annoncé son intention de créer une centrale d’achat pour les minéraux critiques. En Inde, le ministère des Mines a mis sur pied une coentreprise dans le même but; elle a déjà conclu des ententes avec l’Argentine et l’Australie.
Des risques d’investissement plus élevés
Les interventions gouvernementales sur les marchés des minéraux critiques révèlent un nouveau « nationalisme des ressources » qui vient modifier les façons de faire.
Certains gouvernements limitent les exportations de matières premières.
Le Canada a annoncé des restrictions sur les investissements des entreprises d’État étrangères dans le secteur des minéraux critiques et a durci ses critères pour déterminer si une transaction est « bénéfique » pour le pays.
Le gouvernement canadien oblige également certaines entités publiques étrangères à céder leurs actifs miniers critiques.
Le Chili a annoncé son intention de nationaliser son industrie du lithium. Il a également indiqué que toute entreprise privée doit s’associer à l’État pour exploiter le lithium.
Rappelons que le Chili est le deuxième producteur mondial de lithium et qu’il abrite la plus grande réserve de lithium de la planète.
Toutes ces nouvelles réalités obligent aujourd’hui les minières à évaluer sérieusement les profils de risque des pays, ce qui aura un impact sur les investissements et l’activité des transactions.
D’autres nouveaux joueurs s’associent aux minières, dont les équipementiers.
Volkswagen construit une première usine de batteries au Canada. Toujours au Canada, Mercedes Benz ouvre une antenne « matières premières » pour gérer ses efforts d’approvisionnement.
Les deux constructeurs se disent disposés à investir directement dans les mines, si nécessaire.
General Motors participe au capital de la plus grande ressource de lithium connue des États-Unis, afin de soutenir la production de près d’un million de véhicules électriques par année.
Comme on le constate, la course aux minéraux critiques et stratégiques force plusieurs sociétés minières à se réinventer. Le mouvement est solidement enclenché dans plusieurs juridictions.
L’autre vent de face qui attend l’industrie, c’est la décarbonation. Elle interpelle directement les minières qui produisent leur lot de gaz à effet de serre.
Elle repose aussi sur le pari que les acheteurs de minéraux stratégiques seront prêts à payer une « prime verte » pour des produits fabriqués avec des émissions de carbone relativement faibles, voire nulles.
Ce sera le sujet de mon prochain blogue.