Les deux mains sur... le volant? (Crédit: Filmateria Digital)
Une boutade dans l’industrie automobile veut que la composante la moins fiable en matière de sécurité routière se trouve à 50 centimètres du volant. On fait référence, bien sûr, au conducteur. Au facteur humain.
Épisodiquement, Microsoft invite des journalistes à son campus de Redmond, le Boucherville-de-Seattle, sur la côte ouest des États-Unis, pour présenter ses plus récentes avancées technologiques. Plus d’une dizaine d’années s’est écoulée depuis notre première visite d’un imposant complexe immobilier qui a vu passer Bill Gates, Steve Ballmer, et aujourd’hui, Satya Nadella. À l’époque, le titre de Microsoft faisait du surplace, en Bourse. Mais Nadella a su non seulement prendre les rênes d’un géant techno qu’on ne croyait plus revoir au sommet de son industrie, mais il en a fait un géant tout court, flirtant avec le sommet de la Bourse américaine, en pas tout à fait cinq ans. Comme le tweeterait un autre genre de président : BIG!
Bref, ça méritait une deuxième visite. Visite fort instructive : huit sessions et deux jours plus tard, l’entreprise connue partout sur la planète pour son système d’exploitation Windows ne l’aura pas mentionné une seule fois directement. À peine a-t-on vu comment Cortana et certaines fonctions d’Office peuvent évoluer pour simplifier le boulot des gens dont le boulot se passe plus souvent qu’autrement sur un poste informatique. Déjà, ce seul détail est majeur.
Mais surtout, on a pu constater à quel point l’effet Nadella, pour le nommer ainsi, a fait du bien à cette société autrefois réputée pour être erratique, sclérosée et trop centrée sur elle-même.
Plateformes, plateformes, plateformes!
Le moment qui a défini le passage de Steve Ballmer à la tête de Microsoft est cette conférence de 2011 où il s’est écrié «Développeurs! Développeurs! Développeurs!». Son successeur n’est pas du genre à commettre un tel faux pas. Mais s’il l’était, sans doute qu’il s’écrierait plutôt «Plateformes! Plateformes! Plateformes!»
C’est, en un mot (ou trois?), ce qui définit le Microsoft de 2019 : tout est une plateforme. Windows, évidemment. Azure, dans le nuage. La réalité augmentée et virtuelle de son casque HoloLens. La console Xbox. L’intelligence artificielle et ses déclinaisons commerciales : agents conversationnels, vision par ordinateur, etc. Et dans cinq ans, promet-on (il est permis d’en douter), l’informatique quantique.
En cette ère où la transformation numérique est sur toutes les lèvres (ou devrait l’être), cette stratégie a quelque chose d’intéressant, puisque Microsoft se positionne ainsi pour fournir les outils, quels qu’ils soient, aux entreprises qui veulent prendre ce virage. Des «chatbots» pour vendre directement dans Messenger ou sur votre site web? Il y en a en stock. Une interface vocale en marque blanche? Ça aussi. Une interface de réalité augmentée pour aider à la formation de vos spécialistes? Parlez-en aux gens de CAE, ça les positionne en forte position de croissance bien au-delà de la formation de pilotes d’avion…
Microsoft se positionne aussi fermement sur les grands enjeux technologiques du moment. Dans la même journée où on nous explique tout ça, une lettre est publiée par des poids lourds de l’IA, dont le Montréalais d’adoption Yoshua Bengio et des chercheurs de Microsoft, demandant à Amazon de cesser la vente de sa technologie de reconnaissance faciale au secteur militaire. Une autre circule plaçant les ressources humaines de Microsoft dans l’embarras; elles auraient levé le nez sur plusieurs plaintes d’inconduite sexuelle au fil des ans.
Mais Redmond persiste. «La notion qu’on puisse utiliser la technologie pour faire du mal n’est pas de la fiction, et n’est pas non plus qu’une affaire de cybersécurité. Ça doit être envisagé au plus haut niveau», ajoute David Carmona, directeur général pour l’IA chez Microsoft. Ironiquement, à ce sujet, Redmond partage plusieurs atomes crochus avec Cupertino, où Apple aussi s’est clairement placée à part des Amazon, Facebook et Google de ce monde. Il faut dire qu’au moins une de ces trois sociétés misant sur le ciblage et la pub pour générer des revenus fera prochainement les frais d’une enquête criminelle fort anticipée, dans la Silicon Valley et sur Wall Street.
«On n’est pas la compagnie la plus cool, mais on veut certainement être la compagnie qui vous permet d’être cool», assure Steve Clayton, le conteur d’histoires en chef pour Microsoft («Chief Storyteller»), un titre que tout le monde lui envie, c’est sûr. Les bas blancs des TI qui aident les bas à l’effigie de Star Wars à en mettre plein la vue à leurs clients. C’est comme ça que Microsoft se définit.
Les interfaces du futur, aujourd’hui
Une collègue du Telegraph se plaint qu’en 2019, il est difficile d’être un reporter technologique car pour bien suivre les tendances du monde des startups, il faut posséder des connaissances en finances, en santé, en gestion, en alimentation, en transport, en agriculture, en environnement, en création artistique, et en technologie… éventuellement.
Ce que ça signifie? De nos jours, toute entreprise est une entreprise techno. Ou devrait se considérer comme tel, car il y a une valeur technologique dans tous les secteurs d’activités. Même dans la vente de chaussures, qui peut se faire en ligne, par réalité augmentée, ou à l’inverse, en demandant à son client de téléverser une photo de ses chaussures préférées pour lui en recommander des similaires à meilleur prix.
Sous cet angle, on voit bien pourquoi Microsoft voudrait être partout à la fois. L’entreprise née de la volonté de placer un PC dans chaque maison s’ajuste à une réalité bien plus éclatée que ça, et propose des solutions allant dans tous les sens : infonuagique sur-mesure (et même sous-marine, dans le cas du Projet Natick), reconnaissance faciale en temps réel (ce qui ne manque pas d’être un brin effrayant), traitement naturel de la langue et synthèse vocale, etc.
Mais évidemment, on détaille, on teste, on analyse ces interfaces du futur, et tout le monde retourne à son clavier et sa souris pour prendre des notes (ou pour publier un billet sur le sujet).
Des périphériques vieux comme le monde qui souffrent de limites énormes. Parlez-en à feu Douglas Englebart, qui imaginait la souris comme un instrument de musique à plusieurs notes. On se demande comment il réagirait s’il enfilait la deuxième génération des lunettes HoloLens, qui reconnaît jusqu’à 25 parties de chacune des deux mains pour mieux comprendre ce que tente de lui dire son utilisateur…
Face à tout ça, on se prend à se demander si, en techno comme dans l’auto, le problème, en fin de compte, ne se trouve pas à 50 centimètres du clavier…
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