Prendre le virage électrique sans foncer dans le mur
Claude Maheux-Picard|Publié le 11 Décembre 2020Au Québec, seuls quatre centres de formation professionnelle offrent présentement un programme de mécanique pour véhicules électriques. (Photo: 123RF)
BLOGUE INVITÉ. La nouvelle a fait grand bruit il y a quelques semaines déjà : la vente de véhicules à essence sera interdite au Québec dès 2035. C’est la décision prise par le gouvernement pour concrétiser son vaste plan d’électrification, pavant la voie à toute une série de mesures pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050.
Était-ce la bonne chose à faire? Assurément, puisque le plus récent inventaire des émissions de gaz à effet de serre (GES) du Québec indique que 43% de ces émissions proviennent du secteur du transport routier. L’activité industrielle occupe le deuxième rang de ce palmarès avec une proportion de 30%.
Il est donc tout à fait logique d’accélérer le pas vers des flottes de camions et un parc de véhicules moins polluants.
Plusieurs éléments devront toutefois être mis en place pour une transition réussie.
Il y a deux ans, Hydro-Québec annonçait s’être fixé l’objectif d’installer 1 600 bornes de recharge rapide d’ici 2029. Vous conviendrez avec moi que cela apparaît nettement insuffisant en ce qui a trait aux dernières annonces.
Qu’en est-il de la formation des mécaniciens? Pour l’heure, ce volet occupe une place minimale dans les programmes d’enseignement. Seuls quatre centres de formation professionnelle offrent présentement un programme de mécanique pour véhicules électriques.
C’est bien peu.
Si je suis confiante de pouvoir être aidé par un remorqueur en cas de panne d’essence, je le suis moins si jamais j’avais une panne d’électricité.
CAA-Québec offre depuis 2018 un service de recharge lors d’une telle situation. Il s’agit en fait de voitures Hyundai IONIQ, munies d’une batterie supplémentaire pouvant offrir 20 km d’autonomie à l’automobiliste en panne, mais si votre batterie est compatible…
Sinon, c’est le remorquage traditionnel qui prévaut.
Là où le bât blesse, c’est que seules trois voitures sont disponibles pour tout le territoire québécois couvert par l’organisation : deux à Montréal et une à Québec. On suppose bien sûr que ce nombre de véhicules augmentera avec la demande.
En d’autres mots, c’est tout un secteur de services qui doit réfléchir sans tarder à l’amorce d’un virage technologique pour être fin prêt le moment venu.
Un contexte énergétique favorable
Le Québec est privilégié.
Grâce à son hydroélectricité, l’analyse du cycle de vie d’une voiture électrique est avantageuse au niveau de son utilisation, lorsque comparée à celle d’une voiture à essence. De nombreuses études en témoignent, comme celle du Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG), publiée en 2016, et qui est bien vulgarisée sur le site unpointcinq.ca.
Cela n’est pas le cas à d’autres endroits dans le monde où l’électricité est d’origine fossile ou nucléaire.
La gestion de l’empreinte carbone ou celle des déchets radioactifs nécessite une dépense énergétique supplémentaire de sorte que le nombre de recharges que peut accomplir une batterie devrait être augmenté pour voir son impact environnemental devenir comparable à son pendant thermique.
Les batteries actuelles peinent à y arriver.
Le processus de production des batteries lithium-ion et leur gestion en fin de vie fait mal au bilan environnemental des voitures électriques. De nombreux métaux rares sont en effet utilisés dans leur fabrication. Une fois qu’ils sont usés, le travail de séparation de ces métaux en vue de leur recyclage est complexe.
Résultat : les batteries des véhicules électriques ne sont à ce jour pas ou peu recyclées. Elles sont stockées, en attendant une deuxième vie ou la renaissance sous forme d’autres matériaux.
Le processus de production des batteries lithium-ion et leur gestion en fin de vie fait mal au bilan environnemental des voitures électriques. (Photo: 123RF)
C’est que la recherche sur le développement des batteries semble s’être faite plus rapidement que celle sur la gestion de leur fin de vie. Cela est malheureusement le cas de plusieurs produits arrivant sur le marché.
Le sujet du recyclage des batteries fait néanmoins l’objet de nombreux travaux de recherche à travers le monde.
Bien que prometteuse, aucune recherche n’a encore résulté en transfert technologique réussi, aucune initiative recensée ne va au-delà du projet pilote ou de l’usine de démonstration.
On est donc encore loin d’un réseau organisé (et rentable) de collecte et de recyclage des batteries lithium-ion.
Et l’économie circulaire dans tout ça?
Dans une perspective de préservation des ressources et d’économie circulaire, l’espoir réside dans le développement de matériaux renouvelables aux propriétés similaires.
À titre d’exemple, des travaux de recherche sont en cours à l’Université de Nantes, en France, pour remplacer le graphite des anodes par du carbone issu de la biomasse.
Les batteries actuelles étant essentiellement fabriquées en Asie, ces développements permettraient de s’affranchir partiellement de certaines contraintes géopolitiques.
J’ose à peine imaginer où en serait le Québec aujourd’hui s’il n’avait pas mis fin abruptement au projet de moteur-roue d’Hydro-Québec en 1995. Un coup de génie québécois vite tombé dans l’oubli.
C’est qu’il est difficile de se frotter aux grands constructeurs automobiles américains.
Utilisant l’énergie libérée lors du freinage pour recharger ses batteries, un tel véhicule aurait comme avantage additionnel de drainer moins d’énergie du réseau électrique.
Parce qu’il faudra bien les recharger, la nuit venue, ces véhicules. Quel impact cela aura-t-il sur la capacité de nos infrastructures actuelles? Et sur le coût de notre kWh?
Bien des questions demeurent pour le moment sans réponse.
Si l’ultimatum de 2030 apparaît menaçant, il devrait au moins avoir pour effet d’accroître de manière importante les investissements en recherche. Nous ne pouvons que nous en réjouir.
Malgré cela, le citoyen écoresponsable devrait continuer à favoriser, lorsque possible, le transport actif, les transports en commun et le covoiturage, et ce, dans cet ordre.
La planète ne s’en portera que mieux.
Et notre santé aussi.