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Prendre sa place en tant que femme en construction

Ruby Irene Pratka|Publié le 08 mars 2022

Prendre sa place en tant que femme en construction

En 2021, les femmes comptaient pour 3,27 % des employés dans la construction. (Photo: 123RF)

INDUSTRIE DE LA CONSTRUCTION. Le monde de la construction a toujours été celui de Josée Dufour. «Toute la famille de mon père est dans la construction, et je faisais des rénovations dès l’âge de 12 ans, se remémore celle qui est aujourd’hui présidente d’Axiomatech, une firme spécialisée en gestion du bâtiment. Cependant, quand j’ai voulu en faire carrière, à la fin des années 1980, on m’a dit que ce n’était pas un milieu pour une femme.» Une trentaine d’années plus tard, les femmes commencent enfin à y trouver leur place.

Selon la présidente de la Commission de la construction du Québec (CCQ), Diane Lemieux, les femmes comptaient pour 3,27 % des employés dans la construction en 2021, contre 1,5% en 2015, soit une augmentation de 4000 femmes en six ans. Environ une entreprise québécoise sur sept compte au moins une femme dans ses effectifs. 

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Il s’agit là de gains acquis de haute lutte, selon la CCQ. En 1997, en partenariat avec le gouvernement québécois et avec des acteurs patronaux et syndicaux, l’organisme a développé le premier programme d’accès à l’égalité des femmes (PAEF) dans la construction. Celui-ci visait l’intégration de «2000 femmes pour les années 2000». Or, constate la CCQ, cette cible n’a été atteinte qu’en 2011. 

Un deuxième PAEF a été mis sur pied pour 2015 à 2024, avec comme but de faire grimper ce pourcentage à 3% dans l’ensemble, et jusqu’à 10% ou 15% dans certains secteurs, tels que la plâtrerie et l’arpentage, qui comptent déjà plus que 3% de femmes. La Commission soutient que ce plan vise à soutenir un climat sain et inclusif, à poursuivre le changement de culture et à soutenir la rétention, considérant qu’une travailleuse sur deux quitte l’industrie au bout de cinq ans.

 

Les barrières qui demeurent

De nombreux obstacles demeurent pour les femmes en construction, estiment toutes les intervenantes du milieu interrogées par Les Affaires

Les travailleuses font face à des préjugés, certes, mais aussi à la dévalorisation des métiers manuels et aux horaires rigides et imprévisibles dans un secteur hautement réglementé, croit entre autres Marie-Laure Labadie, conseillère en emploi au Centre étape. Cet organisme sans but lucratif en employabilité de la région de la Capitale-Nationale a piloté le projet Femmes et construction en partenariat avec la CCQ, le ministère du Travail et le Secrétariat à la condition féminine, de 2018 à 2021. 

Sur certains chantiers, ajoute Josée Dufour, des femmes ne se sentent pas en sécurité en compagnie de leurs collègues. Parfois, elles ont même de la difficulté à trouver des vêtements de travail adaptés, note-t-elle aussi. 

L’équipe de Marie-Laure Labadie s’est attaquée à plusieurs de ces barrières. Des intervenantes ont organisé des ateliers avec des adolescents afin de déjouer les stéréotypes genrés liés à la construction. Elles ont aussi soutenu des finissantes en formation professionnelle dans leur recherche d’emploi et sensibilisé des employeurs de la grande région de Québec à la conciliation travail-famille. «En 2022, quand on parle de conciliation travail-famille, on parle de l’équilibre travail-vie pour tout le monde, précise la conseillère. Ça prend du temps de mettre en place des politiques [pour l’ensemble de l’industrie], mais on a provoqué des conversations.» 

Au cours des dernières années, l’Association de la construction du Québec (ACQ) a aussi lancé des initiatives pour encourager l’intégration des femmes dans l’industrie, dont la sensibilisation auprès des jeunes et des formations gratuites sur l’équité et l’inclusion pour les employeurs, explique Stéphanie Fournier, qui y est conseillère en relations de travail. En plus d’avoir organisé le colloque annuel Construire se conjugue au féminin, l’ACQ a démarré, avec la Corporation des maîtres électriciens du Québec, le programme de reconnaissance Certifié mixité, qui souligne les efforts des entrepreneurs qui intègrent des femmes à leurs équipes. 

À ces initiatives s’ajoute le projet de concertation nationale visant l’accès de la main-d’œuvre féminine aux emplois dans les secteurs de la relance et de la construction, piloté par le Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT). Celui-ci vise la création d’emplois destinés aux femmes dans toute l’industrie dans le contexte de la pénurie de main-d’œuvre.

Stéphanie Fournier considère justement que la pénurie pousse les employeurs à repenser leurs façons de faire pour faciliter la rétention des travailleuses et des travailleurs. Elle remarque que les efforts de l’ACQ et de ses partenaires portent déjà fruit: entre 2020 et 2021, le nombre de femmes québécoises employées dans l’industrie a bondi de 12%. 

 

Plus qu’un job de chantier

Le monde de la construction offre aussi de nombreuses occasions de se lancer dans l’entrepreneuriat. Josée Dufour y a par exemple trouvé son compte, cofondant Axiomatech en 2007. Depuis 2019, elle est également présidente du conseil d’administration des Elles de la construction, un organisme sans but lucratif qui fournit des services d’accompagnement et de mentorat, ainsi qu’une gamme d’activités de formation, de réseautage et de reconnaissance aux aspirantes travailleuses et entrepreneures de l’industrie. 

Selon elle, toutes les femmes actives dans ce milieu font face à des barrières similaires. «Pour moi, c’était important d’avoir un endroit [comme Les Elles de la construction] où on pouvait travailler ensemble pour améliorer nos conditions», souligne-t-elle. 

Josée Dufour conseille aux aspirantes entrepreneures en construction de s’entourer de bons mentors et de garder confiance dans leurs compétences. Elle a de l’espoir quant à l’avenir des femmes dans l’industrie, notamment en raison de l’effritement des stéréotypes. 

Diane Lemieux abonde dans le même sens. Bien qu’elle qualifie la proportion actuelle des femmes dans l’industrie d’«homéopathique», la présidente de la CCQ considère qu’il est «trop tard pour un retour en arrière». 

 

Le monde de la construction a toujours été celui de Josée Dufour. « Toute la famille de mon père est dans la construction, et je faisais des rénovations dès l’âge de 12 ans, se remémore celle qui est aujourd’hui présidente d’Axiomatech, une firme spécialisée en gestion du bâtiment. Cependant, quand j’ai voulu en faire carrière, à la fin des années 1980, on m’a dit que ce n’était pas un milieu pour une femme. » Une trentaine d’années plus tard, les femmes commencent enfin à y trouver leur place.
Selon la présidente de la Commission de la construction du Québec (CCQ), Diane Lemieux, les femmes comptaient pour 3,27 % des employés dans la construction en 2021, contre 1,5 % en 2015, soit une augmentation de 4000 femmes en six ans. Environ une entreprise québécoise sur sept compte au moins une femme dans ses effectifs. 
Il s’agit là de gains acquis de haute lutte, selon la CCQ. En 1997, en partenariat avec le gouvernement québécois et avec des acteurs patronaux et syndicaux, l’organisme a développé le premier programme d’accès à l’égalité des femmes (PAEF) dans la construction. Celui-ci visait l’intégration de « 2000 femmes pour les années 2000 ». Or, constate la CCQ, cette cible n’a été atteinte qu’en 2011. 
Un deuxième PAEF a été mis sur pied pour 2015 à 2024, avec comme but de faire grimper ce pourcentage à 3 % dans l’ensemble, et jusqu’à 10 % ou 15 % dans certains secteurs, tels que la plâtrerie et l’arpentage, qui comptent déjà plus que 3 % de femmes. La Commission soutient que ce plan vise à soutenir un climat sain et inclusif, à poursuivre le changement de culture et à soutenir la rétention, considérant qu’une travailleuse sur deux quitte l’industrie au bout de cinq ans.
Les barrières qui demeurent
De nombreux obstacles demeurent pour les femmes en construction, estiment toutes les intervenantes du milieu interrogées par « Les Affaires ». 
Les travailleuses font face à des préjugés, certes, mais aussi à la dévalorisation des métiers manuels et aux horaires rigides et imprévisibles dans un secteur hautement réglementé, croit entre autres Marie-Laure Labadie, conseillère en emploi au Centre étape. Cet organisme sans but lucratif en employabilité de la région de la Capitale-Nationale a piloté le projet Femmes et construction en partenariat avec la CCQ, le ministère du Travail et le Secrétariat à la condition féminine, de 2018 à 2021.
 
Sur certains chantiers, ajoute Josée Dufour, des femmes ne se sentent pas en sécurité en compagnie de leurs collègues. Parfois, elles ont même de la difficulté à trouver des vêtements de travail adaptés, note-t-elle aussi. 
L’équipe de Marie-Laure Labadie s’est attaquée à plusieurs de ces barrières. Des intervenantes ont organisé des ateliers avec des adolescents afin de déjouer les stéréotypes genrés liés à la construction. Elles ont aussi soutenu des finissantes en formation professionnelle dans leur recherche d’emploi et sensibilisé des employeurs de la grande région de Québec à la conciliation travail-famille. « En 2022, quand on parle de conciliation travail-famille, on parle de l’équilibre travail-vie pour tout le monde, précise la conseillère. Ça prend du temps de mettre en place des politiques [pour l’ensemble de l’industrie], mais on a provoqué des conversations. » 
Au cours des dernières années, l’Association de la construction du Québec (ACQ) a aussi lancé des initiatives pour encourager l’intégration des femmes dans l’industrie, dont la sensibilisation auprès des jeunes et des formations gratuites sur l’équité et l’inclusion pour les employeurs, explique Stéphanie Fournier, qui y est conseillère en relations de travail. En plus d’avoir organisé le colloque annuel Construire se conjugue au féminin, l’ACQ a démarré, avec la Corporation des maîtres électriciens du Québec, le programme de reconnaissance Certifié mixité, qui souligne les efforts des entrepreneurs qui intègrent des femmes à leurs équipes. 
À ces initiatives s’ajoute le projet de concertation nationale visant l’accès de la main-d’œuvre féminine aux emplois dans les secteurs de la relance et de la construction, piloté par le Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT). Celui-ci vise la création d’emplois destinés aux femmes dans toute l’industrie dans le contexte de la pénurie de main-d’œuvre.
Stéphanie Fournier considère justement que la pénurie pousse les employeurs à repenser leurs façons de faire pour faciliter la rétention des travailleuses et des travailleurs. Elle remarque que les efforts de l’ACQ et de ses partenaires portent déjà fruit : entre 2020 et 2021, le nombre de femmes québécoises employées dans l’industrie a bondi de 12 %. 
Plus qu’un « job » de chantier
Le monde de la construction offre aussi de nombreuses occasions de se lancer dans l’entrepreneuriat. Josée Dufour y a par exemple trouvé son compte, cofondant Axiomatech en 2007. Depuis 2019, elle est également présidente du conseil d’administration des Elles de la construction, un organisme sans but lucratif qui fournit des services d’accompagnement et de mentorat, ainsi qu’une gamme d’activités de formation, de réseautage et de reconnaissance aux aspirantes travailleuses et entrepreneures de l’industrie. 
Selon elle, toutes les femmes actives dans ce milieu font face à des barrières similaires. « Pour moi, c’était important d’avoir un endroit [comme Les Elles de la construction] où on pouvait travailler ensemble pour améliorer nos conditions », souligne-t-elle. 
Josée Dufour conseille aux aspirantes entrepreneures en construction de s’entourer de bons mentors et de garder confiance dans leurs compétences. Elle a de l’espoir quant à l’avenir des femmes dans l’industrie, notamment en raison de l’effritement des stéréotypes. 
Diane Lemieux abonde dans le même sens. Bien qu’elle qualifie la proportion actuelle des femmes dans l’industrie d’« homéopathique », la présidente de la CCQ considère qu’il est « trop tard pour un retour en arrière ».