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François Normand

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Analyse de la rédaction

Préparez-vous à la création de taxes carbone aux frontières

François Normand|Publié le 25 Décembre 2021

Préparez-vous à la création de taxes carbone aux frontières

En juillet, la Commission européenne a officiellement proposé une taxe carbone aux frontières (TCF) pour le marché européen. (Photo: 123RF)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. Ce n’est qu’une question de temps, et les entreprises doivent s’y préparer. Dans les prochaines années, des pays et des regroupements économiques commenceront à mettre en place une taxe carbone aux frontières (TCF) pour accélérer la décarbonisation de l’économie et rééquilibrer les efforts en ce sens.

Voilà la principale conclusion d’une note publiée récemment par Angelo Katsoras, analyste géopolitique à la Banque Nationale (Mise à jour : Vers une inévitable taxe carbone aux frontières?).

En fait, la présence d’un point d’interrogation à la fin du titre est superflue, car l’analyste estime que la mise en place de TCF est somme toute inévitable en raison du déséquilibre des efforts consentis dans le monde pour atteindre un jour la carboneutralité.

«Malgré les difficultés logistiques soulevées, nous estimons que beaucoup de pays développés finiront par mettre en place la TCF ou d‘autres formes de droits liés au carbone afin de limiter le risque d’un contrecoup politique lié à la crainte que les réglementations en matière de changements climatiques rendent les entreprises nationales moins concurrentielles», écrit-il.

En fait, les conclusions de la présente analyse « corroborent » les conclusions de l’analyse précédente qu’Angelo Katsoras avait publiée à ce sujet en mars.

À ses yeux, l’Union européenne sera probablement le premier bloc économique à faire appliquer une taxe pour tenir compte de l’intensité carbone des produits fabriqués dans des pays carburant grandement aux énergies fossiles comme la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud.

Et l’UE a déjà fait un pas dans cette direction.

 

Bruxelles a proposé de créer une TCF en juillet

En juillet, la Commission européenne a officiellement proposé une TCF pour le marché européen, le plus important de la planète. Au départ, la mesure s’appliquerait à quatre secteurs à forte intensité de carbone, soit l’acier, l’aluminium, le ciment et les engrais.

Il va sans dire que cette mesure ne vise pas l’aluminium québécois, l’un des plus vert –sinon le plus vert– au monde. Elle vise surtout les importations de métal blanc en provenance de pays comme la Chine.

Concrètement, les importations de produits de ces quatre secteurs relèveraient du Système d’échange de quotas d’émissions de l’UE (SEQE-UE). Par conséquent, les entreprises étrangères qui les exportent en Europe devraient payer un prix carbone équivalent aux prix que paieraient les entreprises européennes.

Angelo Katsoras souligne qu’il y a une « forte adhésion » des pays membres de l’UE à propos d’une TCF, et ce, sur un continent habituellement divisé sur de nombreux enjeux.

À ses yeux, le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, a peut-être mieux que quiconque résumer l’état d’esprit de nombreux parlementaires et de pays de l’Union à ce sujet.

«C’est une question de survie pour notre industrie. Si les autres n’empruntent pas la même direction, nous devrons protéger l’Union européenne contre la concurrence déloyale et contre le risque d’une fuite de carbone», a déclaré le commissaire lors d’une conférence virtuelle en janvier, couvert par l’agence Reuters.

Cela dit, la TCF n’apparaîtra pas du jour du lendemain aux frontières de l’Union européenne. À vrai dire, ce projet serait déployé en deux phases:

 

 

  • Phase 1 (2023 à 2025) – les autorités européennes mesureraient l’empreinte carbone des importations des secteurs visés.
  • Phase 2 (à partir de 2026) – les autorités européennes taxeraient l’empreinte carbone dans les produits importés.

 

Et, avec le temps, l’UE taxerait d’autres secteurs intensifs en carbone. Mais pour certains secteurs, cet échéancier est beaucoup trop court.

 

L’aluminium figure parmi les quatre secteurs à forte intensité de carbone dans le monde visés par le projet de taxe carbone aux frontières de l’Union européenne. (Photo: 123RF)

En juillet, un dirigeant d’Arcelor Mittal a indiqué qu’ «il est crucial de mettre tout le monde sur un pied d’égalité sans quoi l’industrie sidérurgique ne survivra pas en Europe», rapportait le magazine britannique The Economist.

La volonté de l’Europe de se doter d’une TCF ne passera pas comme une lettre à la poste, fait remarquer Angelo Katsoras : « Sans surprise, la Chine a déclaré publiquement que la TCF de l’UE contrevient à la réglementation du commerce international. »

 

L’idée fait son chemin aux États-Unis

Les Américains ne sont pas nécessairement très enthousiastes non plus, « mais l’idée fait de plus en plus son chemin » auprès de la classe politique et des gens d’affaires, fait remarquer Angelo Katsoras.

John Kerry, l’envoyé présidentiel spécial pour le climat des États-Unis, a par exemple indiqué qu’une TCF fait partie des options envisagées face aux importations en provenance de pays où les normes environnementales sont moins strictes.

Pour sa part, le président Joe Biden avait appuyé ce type de politique lors de la présidentielle américaine en 2020.

Quant au Canada, il devrait emboîter le pas aux États-Unis si jamais nos voisins se dotaient un jour d’une TCF pour tenir compte de l’empreinte carbone des importations de pays comme la Chine, estime l’analyste de la Banque Nationale.

Le premier ministre Justin Trudeau a d’ailleurs indiqué récemment qu’il serait favorable à taxer l’empreinte carbone des produits à la frontière, comme le rapportait le National Post de Toronto en novembre.

Cela dit, mettre en place des TCF représente aussi des défis techniques, à commencer par l’absence d’accord international sur la manière de mesurer le carbone dans les produits.

La Brookings Institution a récemment donné un exemple concret de difficulté pratique, et ce, avec l’industrie automobile.

Quand un véhicule Ford est fabriqué dans une usine américaine, seulement 40% des pièces sont produites aux États-Unis ou au Canada, alors que 60% proviennent de différentes régions du monde.

Aussi, on imagine la complexité pour déterminer l’intensité carbone de toutes ces pièces qui entrent dans la fabrication d’une voiture.

Malgré les défis techniques, la tendance est lourde et les astres sont alignés pour la mise en place graduelle de TCF dans les pays développés dans les prochaines années et décennies.

Qui sait, peut-être l’intelligence artificielle et l’analyse de données permettront-elles un jour de mesurer facilement l’empreinte carbone dans les chaînes de valeur mondiales.

Chose certaine, dans ce nouvel environnement d’affaires en gestation, les entreprises du Québec figurent sans doute parmi celles qui sont les mieux positionnées dans le monde, principalement en raison de notre hydroélectricité.