Frances Haugen est une ingénieure, scientifique des données et gestionnaire de projets américaine... Et une ancienne employée de Facebook. Elle a divulgué des dizaines de milliers de documents internes de cette compagnie à la Securities and Exchange Commission et au «Wall Street Journal». (Photo: Getty Images)
BILLET. « IIs ont priorisé leurs profits astronomiques plutôt que les gens. » Ainsi commence le témoignage de Frances Haugen contre Facebook, son ancien employeur, devant le Congrès américain. Les preuves qui suivent sont accablantes, mais c’est cette accusation qui m’a le plus marquée. Historiquement, on n’attendait pas d’une entreprise qu’elle agisse autrement que dans le but de faire du profit, et ce, quel qu’en soit le coût pour le reste de la société. Aujourd’hui, cela suscite l’indignation. C’est majeur !
Nous assistons à un changement de paradigme profond et il n’est pas difficile de prédire que cela ne va aller qu’en s’amplifiant. Avec le pas de recul permis par le télétravail, les employés ont pu poser un regard différent sur ce qu’ils accomplissent au quotidien et sur la contribution plus globale de l’entreprise pour laquelle ils travaillent. Résultat : ceux pour qui le sens qu’ils donnent à leur travail est plus important que le salaire refusent plus que jamais d’être complices de pratiques allant à l’encontre de leurs valeurs. Les entreprises ont donc tout intérêt, si ce n’est pas déjà le cas, à faire un examen de conscience, puis à intégrer, aussi bien dans leur stratégie que dans leurs opérations, la composante incontournable de la responsabilité sociale.
Certes, Frances Haugen a capturé l’imaginaire du grand public, mais elle n’est que la plus récente d’une longue série — internationale comme locale — d’employés qui dénoncent les comportements inacceptables de leur entreprise. La semaine précédente, c’était Blue Origin qui était sous le feu des critiques. Un groupe de 21 employés actuels et anciens a révélé que l’entreprise spatiale de Jeff Bezos tolérait un climat sexiste et coupait les coins ronds, mettant à risque aussi bien la santé de ses employés que la sécurité du projet. Avant une série d’incidents l’ayant menée à quitter, l’ex-directrice des communications internes, Alexandra Abrams, a confié avoir eu tellement la mission dans la peau qu’elle avait envisagé de se faire tatouer la plume de son logo. Cela semble anecdotique, mais c’est révélateur.
Ce sont souvent les employés les plus engagés qui sont le plus durement déçus lorsqu’une société ne tient pas ses promesses. On remarque d’ailleurs que ce sont celles dont on a longtemps envié la culture d’entreprise, et qui attiraient du même coup les meilleurs talents, qui font le plus souvent l’objet de révélations à leur égard. Tenons-nous-le pour dit, le retour du balancier sera violent pour les entreprises dont les bottines ne suivront pas les babines.
Certes, tous les employés mécontents ne deviendront pas des lanceurs d’alerte. Ils quitteront, tout simplement. Mais à l’heure de la pénurie de main-d’œuvre, l’effet peut être tout aussi dévastateur. Désormais, les candidats ont en main toutes les cartes pour choisir là où ils souhaitent aller travailler. Et si ce sont surtout les faux pas des plus grandes entreprises qui sont médiatisées, il ne faut pas croire que les plus petites sont à l’abri. Les révélations d’un ancien employé mécontent sur les réseaux sociaux coûtent cher, quelle que soit la taille de la société. Aujourd’hui, aucune entreprise peut se permettre de n’avoir autre chose qu’une réputation irréprochable.
Marine Thomas
Rédactrice en chef, Les Affaires
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