Des policiers de Hong Kong arrêtent une manifestante. (source photo: Getty)
ANALYSE GÉOPOLITIQUE – La fin est prévisible: malgré la sympathie dont ils bénéficient dans les démocraties, les manifestants à Hong Kong qui contestent une loi qui permettrait au gouvernement local d’extrader ses citoyens en Chine continentale pour y être jugés ne peuvent pas gagner à long terme, car Pékin veut faire de l’ancienne colonie britannique une ville chinoise comme les autres.
Aussi, même si l’examen et l’application du projet de loi sont retardés par le gouvernement local, cela ne changera pas à terme le destin inéluctable de Hong Kong qui est de fusionner graduellement avec la Chine communiste, et ce, sur les plans politique, économique et judiciaire.
Bref, c’est la Chine (1,386 milliard d’habitants) qui avalera Hong Kong (7,4 millions habitants) et non pas l’inverse.
Et ceux qui ont déjà espéré que l’ancienne colonie britannique -une société démocratique ayant la Common Law comme au Canada- pourrait provoquer une libéralisation graduelle du système politique chinois ont depuis déchanté.
Car non seulement la Chine ne se démocratisera pas (du moins, dans un avenir prévisible, selon les sinologues), mais son gouvernement contrôle de plus en plus ses citoyens grâce aux nouvelles technologies, incluant l’intelligence artificielle.
De plus, en 2018, le président chinois Xi Jinping s’est arrogé les pouvoirs de diriger le pays à vie, rompant ainsi avec la tradition instaurée après l’ère chaotique de Mao d’un renouvellement du leadership à la tête du parti communiste tous les dix ans.
En principe, lors de sa rétrocession à la Chine en 1997, Hong Kong devait garder son statut spécial pendant 50 ans.
Autrement dit, l’ancienne colonie britannique devait pouvoir garder au moins d’ici 2047 son État de droit à l’occidentale, et ce, en vertu de la célèbre formule «un pays, deux systèmes», énoncée par l’ancien dirigeant chinois Deng Xiaoping.
Les libertés s’érodent tranquillement à Hong Kong
Or, sa spécificité et certaines libertés ont déjà commencé à s’éroder, car la Chine communiste exerce une influence de plus en plus grande sur la société hongkongaise et son gouvernement.
Les exemples sont nombreux.
L’administration locale a banni des journalistes, dont un du Financial Time, rappelle le quotidien britannique. Elle a disqualifié des législateurs et criminalisé les insultes à l’égard de l’hymne national chinois.
Le gouvernement de Hong Kong a aussi intenté des procès contre les leaders du mouvement «Occupy Central», souligne le quotidien Le Monde.
En 2014, ce mouvement a demandé en vain à Pékin des réformes pour que le chef de l’exécutif soit élu au suffrage universel et non plus par un comité de Hongkongais issu des élites généralement favorable à la Chine communiste.
Pour sa part, le projet de loi sur l’extradition va beaucoup plus loin, car il menace les fondements mêmes de la spécificité de Hong Kong, selon un chercheur de l’Institute on Religion and International Studies à l’Université de Cambridge, au Royaume-Uni.
«Cela signifierait clairement la fin de tout ordre libre et démocratique, car Hong Kong ne contrôlerait plus ses lois», affirme Alexander Görlach dans une tribune publiée sur la plateforme de Deutsche Welle, une chaîne allemande d’information en continu.
Et cet enjeu ne concerne pas que les citoyens de Hong Kong, insiste le magazine américain Foreign Policy.
Les dirigeants et les employés d’entreprises étrangères qui brassent des affaires à Hong Kong ou qui se servent de ce territoire comme d’un tremplin pour faire des affaires en Chine continentale sont aussi touchés par ce projet de loi.
«Faire des affaires en vertu de la loi de Hong Kong et avoir recours à la justice devant ses tribunaux font en sorte que la ville reste toujours attrayante malgré la croissance de Shenzhen et d’autres villes chinoises», écrit le journaliste taïwanais Hilton Yip.
Or, si la direction et le personnel de ces entreprises sont maintenant susceptibles d’être extradés en Chine et d’être ainsi à la portée de l’État chinois, il y a donc peu de différences entre Hong Kong et toute autre ville de la Chine continentale.
Hong Kong deviendra une ville chinoise comme une autre
Bref, le risque politico-juridique devient similaire, même si une entreprise étrangère est établie à Hong Kong.
Et les risques de faire des affaires en Chine sont élevés, incluant l’emprisonnement de dirigeants d’entreprises, rappelle Foreign Policy.
En 2010, un dirigeant de l’australienne Rio Tinto, Stern Hu, a été condamné à neuf ans de prison parce qu’il aurait volé des secrets commerciaux. La plupart du procès s’est tenu derrière des portes closes, et les diplomates australiens n’y ont pas eu accès.
En 2010, les autorités chinoises ont aussi arrêté un autre dirigeant australien d’origine chinoise, Matthew Ng, après qu’il eut refusé de vendre une participation de son entreprise à un gouvernement local en Chine.
Il a été accusé de fraude et de corruption puis condamné à quatre ans de prison avant d’être renvoyé en Australie.
En décembre dernier, l’homme d’affaires canadien Michael Spavor a été arrêté en Chine (en même temps que l’ex-diplomate canadien Michael Kovrig), car il aurait essayé de voler des secrets d’État.
Or, selon des analystes, les arrestations des deux Canadiens est une mesure de représailles à l’arrestation un peu plus tôt en décembre, à Vancouver, à la demande des Américains, d’une dirigeante du géant chinois des télécoms Huaweï, Meng Wanzhou.
La justice américaine accuse l’entreprise chinoise et Mme Meng d’avoir contourné les sanctions américaines contre l’Iran.
Pour l’instant, Hong Kong demeure encore un État de droit.
Sa culture démocratique demeure aussi vivante comme en témoigne la mobilisation populaire et les manifestations monstres dans les rues de la ville contre le projet de loi sur l’extradition.
Le Hong Kong Bar Association critique aussi le projet, l’estimant inutile.
Malgré tout, la démocratie s’érode tranquillement, mais sûrement à Hong Kong, affirment les spécialistes.
Les médias ont commencé à s’autocensurer pour ne pas être en opposition avec Pékin, selon l’organisme Reporters sans frontières, qui dénonce de la «main invisible de Pékin sur les médias hongkongais».
Graduellement, la Chine communiste impose ses règles à la société hongkongaise.
Aussi, à moins d’une surprise de taille, le projet de loi sur l’extradition devrait un jour ou l’autre être adopté, malgré les protestations populaires.
Car Pékin ne peut tout simplement pas laisser gagner la rue de Hong Kong et prendre le risque qu’un «virus démocratique» se propage en Chine continentale, 30 ans après la révolte étudiante de la place Tiananmen.
Cela pourrait créer un dangereux précédent dans un pays où les dirigeants craignent plus que tout le déclenchement d’un «printemps chinois» qui pourrait renverser le parti communiste.